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iii.

L’Océan, qui entoure les îles Scilly, est un objet de terreur pour la navigation. À Saint-Mary’s, dans Porthellick Bay, gît ce qu’on appelle la tombe de l’Amiral, Admiral’s grave. Sir Cloudesley Shovell revenait de Toulon en 1707, quand son vaisseau et quelques autres heurtèrent contre les rochers qui forment le groupe occidental de cette chaîne de granit. Il fut enterré avec son chien, et deux pierres, l’une à la tête, l’autre aux pieds, marquent sur le sable nu la place de cette ancienne sépulture. Sa femme, plus tard, le fit exhumer et transporter à Londres. Mais pourquoi parler d’anciens naufrages ? Durant mon séjour aux îles Scilly, une goëlette française, la Dunkerquoise, entra dans le port de Saint-Mary’s le grand mât fracassé, les flancs ouverts et faisant eau de toutes parts. Les marins étaient de blonds enfans de la Bretagne qui avaient été poursuivre la morue dans les eaux glacées de l’Islande. La pêche avait été bonne ; mais au retour ils avaient été jetés pendant la nuit contre un steamer anglais. L’équipage s’était heureusement sauvé sur le bateau à vapeur à l’exception d’un mousse âgé de quinze ans, qui avait été perdu et noyé dans la catastrophe. On serra dans un sac ses bottes vides et ses pauvres vêtemens, puis on jeta la paille de son lit dans la mer, et tout fut dit. Pourtant le capitaine avait les larmes aux yeux. On a vu quelquefois à Saint-Mary’s, pendant l’hiver, jusqu’à huit et dix cadavres recueillis sur la grève et portés silencieusement dans les rues de la ville. La Parade a même été sous certains vents envahie par les flots. Après un naufrage, les requins apparaissent dans ces mers, flairant et suivant à la piste les corps morts. De telles calamités n’en constituent pas moins pour les insulaires une branche d’industrie. C’est surtout l’hiver qu’ils font de l’argent en recueillant la moisson des tempêtes. Les désastres se montrent, il est vrai, moins fréquens depuis que les mers sont mieux éclairées, et c’est tout au plus si les habitans des îles Scilly ne se plaignent point à voix basse de cette amélioration. Que voulez-vous ? Le progrès ne saurait contenter tout le monde.

Cette dernière circonstance, l’éclairage des mers, me rappela le but de mon voyage. J’étais venu pour voir le vaisseau-fanal qui fut amarré en 1841 à peu près deux milles à l’est des Seven Stones, sombre groupe d’écueils annoncé de loin par le cercle d’écume que décrit la mer en se brisant contre les rochers. Il me fallut attendre un temps parfaitement calme, car les bateliers de Saint-Mary’s ne se risqueraient pour rien au monde dans une telle expédition quand