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REVUE. — CHRONIQUE.

en était venu à traduire les journaux devant des conseils de guerre, à interner le général Prim et d’autres officiers, comme si une révolution était imminente. Pendant ce temps, la grande question était de savoir si la reine Christine rentrerait ou ne rentrerait point en Espagne après une absence de dix années, et une question plus grave encore, dominant toutes les autres, était de savoir ce qui sortirait de cette énervante confusion.

Le général Narvaez a eu plus d’une bonne fortune dans sa vie politique ; il lui est arrivé rarement d’en trouver une meilleure que de remonter au pouvoir dans un moment où il suffit d’éclaircir, de redresser fermement une situation pour reprendre tout de suite un ascendant nouveau. C’est là, si je ne me trompe, la pensée et l’unique raison d’être possible du ministère récemment formé à Madrid, de ce ministère qu’on pourrait appeler le cabinet des anciens présidens du conseil, car parmi les ministres nouveaux il y en a jusqu’à cinq qui ont été à la tête du gouvernement, le général Narvaez, M. Gonzalez Bravo, M. Arrazola, le général Lersundi, le général Cordova. Cette alliance de personnages, dont chacun pouvait avoir son ambition, implique déjà par elle-même le ferme dessein de subordonner toutes les dissidences et les antagonismes vulgaires à un intérêt public supérieur. Il y a d’ailleurs dans le cabinet qui vient de naître à Madrid des hommes faits pour comprendre qu’une politique nouvelle est nécessaire, qu’une situation comme celle où s’est trouvée l’Espagne depuis quelques années ne peut être rectifiée que par un large système de conciliation, de tolérance et d’intelligent libéralisme. M. Gonzalez Bravo est l’un des orateurs et l’un des chefs de cette fraction du parti conservateur qui a tendu dans ces derniers temps à se rajeunir par un souffle plus libéral. Le nouveau ministre des affaires étrangères, M. Alejandro Llorente, est un esprit habile et élevé en même temps que fort exercé, qui connaît l’Europe et ses tendances irrésistibles vers la liberté. Le général Narvaez lui-même a derrière lui pour l’éclairer l’expérience qu’il a faite en 1857 dans son dernier ministère, qui échoua justement parce qu’il se laissa aller à une politique de réaction décousue. Les uns et les autres, dans le nouveau cabinet, paraissent sentir la nécessité d’entrer dans une voie nouvelle, et par une heureuse fatalité de sa vie publique le général Narvaez, qui préservait l’Espagne en 1848 en maintenant dans toute leur autorité les doctrines conservatrices, se trouve aujourd’hui en position de rendre un service au moins égal en raffermissant son pays par l’inauguration d’une politique de conciliation et de libéralisme. C’est là au reste le sens évident des premiers actes du nouveau ministère de Madrid. Dès son avènement, il a levé les arrêts qui pesaient sur le général Prim et sur d’autres officiers. Il a promulgué une amnistie pour tous les délits de presse, et il est même allé bien plus loin, il a décrété la restitution de toutes les amendes infligées aux journaux depuis 1857, comme si le général Narvaez, en remontant au pouvoir, voulait faire cesser les effets d’une loi sur la presse à laquelle il avait prêté son nom sans en mesurer