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bonnes fortunes de la prosodie. J’entends reprocher à la partition de M. Mermet des défauts d’uniformité qui ne viennent que de son poème et de la coupe admirative de ses morceaux. Il n’en est point de la phrase musicale comme de la phrase poétique : plus vous donnez d’ampleur à celle-ci, plus celle-là sera nécessairement écourtée, plus elle devra, pour rendre le texte, recourir à d’intermittentes modulations. Le récitatif plus ou moins déguisé se montre trop souvent. Vous êtes en pleine passion quand tout à coup l’élan s’arrête, et la mélopée intervient de la plus indiscrète façon, tout cela, je persiste à le soutenir, par la faute du vers, dont la contexture résiste, au lieu de s’y prêter, au développement de la phraséologie musicale. Prenons par exemple le trio du troisième acte, un excellent morceau, bien posé, bien conduit, et qui pour la distribution des parties rappelle le trio de Robert le Diable. Dès les premières mesures, le ton s’affirme et s’élève: aux objurgations de l’archevêque, à ce cri d’amour éploré de la jeune femme, aux déchiremens de Roland, succède le chant de Durandal, grave, profond, solennel ; puis tout à coup le drame, ainsi musicalement engagé, tourne au récitatif, et cet intervalle de déclamation vient inopinément couper court à l’intérêt de la scène, qui ne reprend son autorité dramatique qu’avec le motif de la péroraison, idée large, pathétique, mais dont une strophe trop chargée de paroles gêne évidemment l’essor.

Ce troisième acte était vivement attendu. Dès les répétitions générales, on l’avait signalé comme la partie dominante de l’ouvrage, si bien que l’intérêt qui d’avance s’y attachait a dû nuire quelque peu à l’effet des deux premiers, où se rencontrent pourtant de vraies beautés. Je citerai dans le premier le début d’un air de femme très agréablement dit par Mme Gueymard, l’entrée de l’archevêque et surtout l’invocation aux Pyrénées, mélodie ample et vigoureuse, proposée d’abord à pleine voix par le ténor et reprise avec grand éclat par l’ensemble. — Au second acte, nous sommes chez l’émir de Saragosse. La belle Alde, que Roland dispute au traître Ganelon, se retrouve là sans qu’on s’explique trop comment ni pourquoi. Le libretto nous dit bien que c’est pour se soustraire aux barbares traitemens du chevalier félon, dont elle ne veut pas pour son époux. J’avoue que cette raison ne me satisfait pas. Une princesse chrétienne mêlée librement à toute une théorie de sultanes et tant bien que mal s’accommodant de cette vie de harem, j’estime que la chose au temps de l’empereur Charlemagne ne se voyait guère, et vous comprendrez avec moi tout à l’heure que Roland, rencontrant sa noble dame en pareil lieu, s’étonne d’abord, puis tout aussitôt demande qu’on le rassure. Il est vrai que ce harem de l’émir ressemble beaucoup au sérail de Bajazet : tout le monde y entre, même les chevaux. Voici maintenant venir le perfide Ganelon, qui, dans sa cotte de mailles d’or, accompagné d’un porte-gonfanon, nous annonce l’arrivée du neveu de l’empereur, en attendant que Roland à son tour nous annonce l’approche