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le départ de ces bataillons qu’il avait vus jadis marcher à la frontière sans pain et sans souliers.

Les journaux qui nous arrivaient de France étaient bien faits, il faut l’avouer, pour entretenir les illusions de notre capitaine. La Belgique, la Pologne s’étaient soulevées. La tribune française retentissait d’appels aux armes. Tout était déjà calmé que nous ne le comprenions pas encore. Nous vivions cependant au milieu du concert européen. Les trois grandes puissances, la France, l’Angleterre et la Russie, s’occupaient de fixer d’un commun accord les limites de la Grèce. L’amiral de Rigny, rappelé à Toulon, avait, en partant, laissé le commandement de la station du Levant au capitaine Lalande comme au plus digne. Deux opinions étaient en présence. L’une voulait ménager l’empire ottoman, lui épargner autant que possible les sacrifices ; l’autre songeait avant tout à constituer le nouvel état sur une base assez large pour qu’il pût se passer de tutelle : c’est à ce dernier avis que se rangeait le commandant de la Résolue. Il s’indignait de voir replacer sous le joug des Turcs les populations qui avaient été les plus ardentes à les combattre, les gens de Candie et de Samos, les héros de Chio et d’Ipsara. C’était surtout la Russie qui voulait rogner ainsi la Grèce. Il lui convenait d’avoir en Morée une sorte d’hospodorat bien faible, bien humble, qu’elle pût de Pétersbourg diriger à son gré. L’expansion des populations chrétiennes n’a pas dans le Levant d’ennemi plus opiniâtre que le gouvernement moscovite. L’Angleterre, aveuglée par sa prédilection pour la Turquie, secondait ces tendances. Nous étions seuls à lutter en faveur du droit, seuls à comprendre où était l’avenir. Il fallut bien céder. La Grèce fut délimitée, c’est-à-dire réduite, morcelée, dépouillée par ses protecteurs.

La frégate la Résolue, usée par trois ans de station, avait été remplacée en 1831 par la Calypso ; mais la présence du capitaine Lalande fut jugée nécessaire encore. On le fit passer sur la nouvelle frégate. Nous avions 56 canons au lieu de 44, du calibre de 24 au lieu de pièces de 18. Nous étions loin cependant de nous croire aussi forts. Il fallut recommencer nos exercices ; l’instruction laborieusement acquise s’en était allée avec l’équipage de la Résolue. La plupart des perfectionnemens dus à l’initiative hardie de notre commandant ne se retrouvaient pas sur la Calypso. Le maître charpentier et le maître armurier se remirent à l’œuvre. Le port de Toulon n’avait pas heureusement dressé d’état des lieux, car cette fois le locataire de la Calypso était ruiné. Il taillait, il sapait en plein bois, ouvrant un panneau ici, perçant un sabord par là, traitant la chose comme si elle lui eût appartenu. Il lui fallait une frégate à son goût, une frégate qui répondit à sa pensée, et sa pensée allait toujours au combat.