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et les aborigènes, elle s’accroîtra donc encore. L’agriculture n’a pas moins d’avenir, puisque l’Australie importe aujourd’hui pour environ 25 millions de francs de céréales et de farine, et que la population, incessamment croissante, a des besoins de plus en plus grands.

Il est bon de remarquer que l’industrie pastorale est aux antipodes un produit de l’initiative individuelle. C’est un grand succès qui n’est dû qu’à l’élan spontané des colons, sans secours ni subvention de l’état, sans primes ni encouragemens officiels. Les manufacturiers intéressés à la production de la laine en furent les premiers soutiens. Recevant moins d’aide que d’entraves du gouvernement militaire qui régissait alors la colonie, les premiers squatters ne réclamèrent que la liberté d’agir à leur guise. Ils n’ont jamais demandé l’intervention de l’état, qui s’est abstenu lui-même de les diriger par des conseils ou des règlemens. restrictifs. Les luttes contre les indigènes, les maladies épidémiques des bestiaux, l’avilissement des prix à certaines époques, les discussions sur la durée et la nature des actes de concession, tels sont les faits notables de leur histoire, et la main du pouvoir, abandonnant chaque particulier à lui-même, ne s’y fait sentir que pour sauvegarder les intérêts généraux. Ce qui se passe aujourd’hui encore dans les districts d’occupation récente est bien fait pour attirer l’attention. Les pionniers se portent souvent au hasard, ou sur la foi de renseignemens incertains vers les points qui leur paraissent les plus favorables, et ils y apprennent à leurs dépens si la terre est bonne ou mauvaise. Réussissent-ils, ils sentent le besoin d’ouvrir une route, d’explorer une vallée inconnue, d’établir une école ou une église. Alors ils se concertent et subviennent en commun à l’œuvre qui profitera à tous. Faut-il venger des meurtres commis par les aborigènes et rendre la sécurité au pays, ils se réunissent et combattent ensemble jusqu’à ce que le résultat ait été atteint. Le gouvernement considère de loin, témoin muet et respecté, tout ce que ces hommes font en bien comme en mal. Arrivant à son heure, lorsque les établissemens du nouveau territoire ont fait preuve de vitalité, il donne aux communes la vie municipale, il institue des magistrats, enfin il fait entrer dans la grande famille coloniale la contrée qui s’est colonisée sans lui.

La transformation successive des pâturages en terres arables et en cultures plus intensives fait qu’en s’éloignant du bord de la mer on passe par gradation des cantons les plus civilisés aux territoires tout à fait incultes. Le voyageur qui débarque, à son arrivée aux antipodes, dans l’une des capitales du nouveau continent, à Melbourne ou à Sydney, se verra d’abord entouré de tout le luxe européen.