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colon à verser le sang, et l’existence périlleuse qu’il mène fait qu’il tient peu de compte d’une vie humaine. Certains d’entre eux en viennent à se conduire comme s’ils avaient à coloniser un pays peuplé seulement d’animaux sauvages. L’extermination des indigènes a été posée comme règle et comme but, et cette opinion, ouvertement défendue il y a vingt-cinq ans environ, trouva même un appui dans la presse locale. N’était-il pas honteux que des hommes qui se présentaient comme les pionniers de la civilisation eussent la cruauté de condamner à mort un peuple tout entier, et de se charger eux-mêmes de l’exécution de cette sentence ? Il est juste de reconnaître toutefois que la grande majorité des squatters répudiait ces sanglantes doctrines, et traitait les indigènes avec bonté. L’autorité locale, suivant les inspirations du gouvernement anglais, ne perdait pas non plus une occasion de rappeler les Européens à des principes plus justes et plus humains. Aux yeux de la loi, c’était un devoir strict de protéger ces pauvres êtres dégradés auxquels on enlevait en partie leurs moyens d’existence, et c’était une obligation d’autant plus étroite que les noirs étaient moins capables de se défendre et de se protéger eux-mêmes. Les conseils ne suffisant pas à arrêter les cruautés de certains colons, il fallut un jour sévir contre eux. Au mois de juin 1838, le régisseur d’une station située à 5 ou 600 kilomètres de Sydney, revenant après une courte absence, s’aperçut de la disparition d’une tribu indigène qui campait sur le run au moment de son départ. Cette tribu était composée de quarante individus environ, dont une dizaine de femmes et à peu près autant d’enfans. On lui dit qu’ils s’en étaient allés volontairement. En parcourant la plaine quelque temps après, il découvrit au fond d’un ravin vingt-huit cadavres de noirs affreusement mutilés et brûlés en partie. L’enquête judiciaire qui fut immédiatement commencée fit découvrir que sept convicts attachés à la station avaient, de propos délibéré, résolu et perpétré cet horrible massacre. Ils furent traduits devant le jury de Sydney, tous condamnés à mort et exécutés. C’était bien le cas de faire preuve de sévérité, puisqu’il fut reconnu que les malheureux assassinés n’avaient commis que de légères déprédations. Les coupables, avant de mourir, avouèrent leur crime, mais en déclarant qu’ils n’avaient pas cru violer la loi, bien d’autres dans la colonie en ayant fait autant. La condamnation des sept Européens produisit un grand effet à cette époque. Cette mesure sévère, blâmée par les partisans de la théorie d’extermination, fut au contraire considérée comme insuffisante par les hommes qui eussent voulu voir atteindre les squatters eux-mêmes plutôt que des subalternes qui n’avaient fait, disait-on, que suivre les exemples qu’ils avaient sous les yeux.

Un fait douloureux ressort des relations que les noirs ont avec les