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laissant aux hommes de l’escorte pleine liberté de les piller, ce qu’ils faisaient sans scrupule, les soldats du roi ayant le privilège de vivre aux dépens de tous. Ces malheureux cherchaient à se dédommager la nuit des pertes qu’on leur faisait subir le jour.

Le capitaine Grant souffrait beaucoup de sa jambe, la marche lui était pénible. Or, comme il tardait à son collègue d’arriver au Nil, ils convinrent de se séparer. Grant prit la route du nord, avec la plus grande partie du troupeau, après avoir donné à son ami pour rendez-vous la résidence du roi de l’Unyoro. Le 19, le capitaine mit quatre heures à traverser un marais d’une lieue de largeur appelé le Luajarri. Il a une vingtaine de lieues de longueur et unit le Nyanza au Nil en faisant avec eux un triangle équilatéral. Ce marais est guéable jusqu’à une courte distance de la rive opposée, où un courant assez profond obligea le voyageur à se servir d’un bateau. Enfin le 21 juillet, jour mémorable dans les annales de la science géographique, la caravane arriva à Urondogani, localité située sous le 0° 52’ de latitude nord et le 30° 50’ de longitude est, où l’explorateur se trouva en présence du Nil, magnifique cours d’eau de 800 mètres environ de largeur, embelli d’une multitude de petites îles. Les bords du fleuve étaient tapissés d’une herbe épaisse, du moins sa rive gauche, car la rive opposée paraissait assez aride. On devine la joie de Speke. Il resta longtemps à contempler ces eaux auxquelles tant de générations ont rendu un véritable culte ; mais Urondogani ne devait pas être le terme de son voyage. Sans doute un pas immense était fait vers la solution du problème ; les incertitudes s’étaient dissipées, les doutes avaient disparu, les faits étaient venus confirmer toutes les conjectures et justifier toutes les déductions. Si une force majeure eût empêché le capitaine de remonter le fleuve jusqu’à sa sortie du lac, il n’en aurait pas moins eu la gloire d’avoir découvert les origines du Nil ; heureusement cet obstacle n’existait pas. Il se hâta de demander au chef du district les bateaux que l’amiral lui avait promis. Celui-ci s’était absenté par mesure de précaution. Son subalterne répondit qu’il n’y avait aucun bateau à l’ancre, et que ceux qui formaient la station n’étaient pas destinés à remonter le fleuve. Sans se laisser arrêter par ces subterfuges, il ordonna qu’on lui amenât de sept à dix embarcations : en attendant, il se livra aux plaisirs de la chasse. La faune de cette contrée ne lui laissait que l’embarras du choix. Les quadrupèdes de la plus grande espèce, ainsi que les daims et les antilopes, s’étaient donné rendez-vous sur ces bords. Les détonations de la poudre n’avaient pas encore répandu la terreur parmi eux et ne les forçaient pas à se tenir à une grande distance de l’homme ; aussi, pendant les trois jours qu’il fallut attendre, l’abondance fut-elle dans le camp.