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de l’Angleterre. Là-dessus il ordonna aux porteurs de déposer sur un manteau étendu à terre les présens qu’il lui destinait. Bombay les tendait à Nasib, qui les prenait avec ses mains sales, les passait ensuite sur ses joues pour convaincre le roi qu’aucun malin esprit n’y était attaché, puis les lui remettait. Mtesa parut confus de recevoir tant de choses. Après avoir fait quelques remarques tant soit peu enfantines, il congédia son hôte en lui promettant de ne le laisser manquer de rien, ni lui, ni les siens.

L’impression que le voyageur avait produite sur Mtesa était des plus favorables. Le roi parlait avec admiration et à tout venant de ce qu’il avait vu, reçu et entendu. À coup sûr, il était le favori des esprits, car ses ancêtres n’avaient jamais joui d’une pareille faveur. Cependant, après une ou deux visites au palais, Speke s’aperçut qu’il avait affaire à un grand enfant capricieux, mobile, irascible, parlant sans penser, agissant sans réfléchir, subissant en esclave l’impression du moment et oubliant d’une seconde à l’autre ce qu’il avait dit et promis pour dire et promettre toute autre chose. La présence du capitaine exaltait au plus haut point sa vanité. N’était-ce pas sa renommée qui avait fait venir ce prince étranger de si loin ? Celui-ci ne l’avait-il pas dit lui-même ? Il était donc de son intérêt comme de sa gloire de conserver le plus longtemps possible cette preuve vivante de son influence dans le monde. Aussi le capitaine était-il à la lettre interné dans l’Uganda. Il était interdit aux grands du royaume d’entretenir des relations quelconques avec un étranger reçu à la cour. Tout commerce intime, toute visite pouvaient devenir un délit. Le capitaine ne pouvait faire aucune excursion à moins que ce ne fût dans la société du roi. Il se trouvait sur les bords du Nyanza, puisque la crique à l’extrémité de laquelle s’élevait la résidence royale était formée par ce lac, et il aurait bien voulu en visiter les bords, s’y promener en bateau ; mais les magiciens auraient attaché à ces promenades solitaires un but mystérieux et les auraient déclarées funestes à l’état. Il avait sollicité l’autorisation de se rendre à l’est du royaume, sûr d’y trouver la branche-mère du Nil ; mais il avait essuyé un refus péremptoire. Cette foule de fonctionnaires, d’officiers et de femmes qui composaient la cour avait tout intérêt à prolonger le séjour de Speke dans l’Uganda. Ils comprenaient que sa présence, en apportant un élément de distraction dans la vie du roi, ne pouvait que leur être favorable et les mettre quelquefois à l’abri des caprices sanguinaires de leur maître. Ils ne devaient donc rien faire qui pût hâter son départ. Cet intérêt était au reste la seule garantie qu’il eût contre leur malice, leur jalousie et leurs intrigues.

Heureusement le capitaine Speke avait une vertu avec laquelle, dit le proverbe, on vient à bout de tout : c’est la patience. Si, irrité