Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/851

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fonctions dans ce moment consistent à lui présenter une coupe de vin de bananes. Elles portent une coiffure faite de lézards desséchés et un tablier de peau de chèvre garni de grelots. Les courtisans ou nobles sont devant le monarque, assis à terre en demi-cercle sur plusieurs rangs. Au centre se trouvent les tambours et la musique. Les ordres sont donnés dans un langage bref et saccadé. « Les bestiaux, les femmes et les enfans sont rares dans l’Uganda ; il faut réunir un corps de deux mille hommes pour en aller prendre dans l’Unyoro. » — « Les Wasonga ont insulté mes sujets, il faut les en punir. Levez un corps d’armée qui opérera contre eux conjointement avec la flotte. « — « Les Wahongou n’ont pas payé le tribut, il faut les y contraindre. » — Le général en chef choisit immédiatement les officiers supérieurs qui doivent commander ces corps et en donne connaissance au roi, qui les agrée. Lorsque la séance est levée, ces derniers transmettent des ordres à leurs subordonnés, le recrutement a lieu, et l’armée part. À son retour, le roi la reçoit en grande pompe, écoute le récit des exploits de ses officiers, les récompense par un don de femmes et de bestiaux, ou les élève à un grade supérieur. Le lâche est marqué d’un fer rouge quand il n’est pas mis à mort.

C’est le roi qui rend la justice. L’accusé est amené par l’officier chargé de la police, qui fait connaître la nature du délit. Aucune défense n’est permise, aucun débat contradictoire n’a lieu. Dès que la sentence est prononcée, c’est à qui montrera le plus de zèle pour s’emparer du condamné et le livrer à l’exécuteur des arrêts criminels. Un vaste système d’espionnage et de délation est pratiqué dans l’enclos royal. La plus petite infraction aux lois de l’étiquette, une posture jugée indécente, envoient le coupable à la mort. La discipline de l’intérieur du harem est encore plus sévère. Les pages chargés de la faire exécuter portent des turbans de cordes faites de filamens d’aloès. À chaque instant ils s’en servent pour lier les femmes coupables de quelques indiscrétions ou de méfaits plus considérables et les conduire à leur juge. Les lois du décorum, si sévères pour les hommes admis à la cour, n’enchaînent pas les femmes. Elles se couvrent comme elles veulent, et leurs servantes, quel que soit leur âge, ne se couvrent pas du tout.

C’est dans cet état, qui n’est que la caricature grimaçante d’une centralisation monarchique, c’est vers un jeune despote qui ne le cède en cruauté à aucun autre de la race africaine, et qui se joue de la vie des hommes comme un enfant de celle du moucheron qui lui tombe sous la main, que le voyageur anglais allait se rendre. Il avait plus que jamais la certitude qu’il était sur la route qui devait le conduire aux sources du Nil. Reculer, c’eût été trahir les intérêts de la science ; s’il devait succomber avant d’avoir atteint