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des plus mauvais côtés de sa nature, ils ont maintenu le désordre dans son sein. Que l’esclavage avec toutes ses suites vienne à disparaître, et l’on verra l’Afrique renaître à la vie. Ne trouvant plus dans la civilisation chrétienne une ennemie, elle lui empruntera ce qu’elle a de grand, de beau et de bon, et les pionniers de la foi pourront espérer plus de succès.


III

C’est le 21 septembre 1860 que les capitaines Speke et Grant prirent congé de leurs amis de Zanzibar. Ils montèrent sur une corvette de vingt-deux canons que le sultan Saïd-Majid avait mise à leur disposition pour traverser le bras de mer qui sépare du continent africain l’île dont cette ville est le chef-lieu. Le 25, ils débarquèrent à Bagamoyo, petit port de mer situé sous le 6° 26’ de latitude sud, où ils restèrent une semaine pour organiser leur caravane et faire leurs derniers préparatifs. Ils en partirent le 2 octobre et entrèrent dans l’Uzaramo[1]. C’est un pays arrosé par le fleuve Kingari et ses affluens, qui le bornent au nord et au sud. Les habitans de l’Uzaramo sont de petite taille, fort recherchés dans leur coiffure, et lorsqu’ils sont parvenus à se couvrir le corps d’un enduit de terre jaunâtre, ils croient avoir fait la toilette la plus irréprochable. Ils s’adonnent à la culture de la terre, mais sont fort habiles à la chasse des esclaves. Leurs arcs ne laissent rien à désirer, et leurs flèches, toujours empoisonnées, sont dans un carquois artistement travaillé. Quelques hommes courageux et sans bagage pourraient traverser ce pays sans obstacle, mais un marchand isolé serait infailliblement dépouillé et n’échapperait qu’avec peine à la mort.

Bien que les chefs de l’Uzaramo prétendent relever du sultan de Zanzibar, cependant, lorsqu’il s’agit de prélever un impôt sur les voyageurs, ils se transforment en chefs indépendans. Il serait superflu de s’arrêter sur les débats quotidiens que le voyageur anglais eut à soutenir avec les autorités africaines au sujet du « hongo. » Ces débats se résument invariablement en ceci : les uns demandent beaucoup plus qu’ils n’espèrent obtenir, les autres offrent beaucoup moins qu’ils ne veulent donner. Les deux parties se relâchent graduellement de leurs prétentions respectives, et l’on finit par tomber d’accord. Le chef satisfait ordonne de battre le tambour, ce qui

  1. L’Uzaramo, c’est-à-dire le pays de Ramo. Dans les idiomes de l’Afrique orientale, les préfixes u, m, wa, ki, sont employées, l’u pour désigner un pays, l’m un individu, wa la collection des individus, le peuple, ki le langage. Ainsi ugogo veut dire le pays de Gogo, mgogo un homme de Gogo, wagogo le peuple de Gogo, et kigogo le langage de Gogo.