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pour le dire en passant, il devrait se souvenir un peu plus lui-même dans sa théodicée. Comme nous, il admet que l’âme n’est pas une résultante ou un composé, mais une force individuelle ayant conscience d’elle-même, que cette conscience n’atteint pas seulement les phénomènes, mais l’être et ses puissances essentielles, l’activité, l’individualité, la liberté. Sur cette psychologie toute spiritualiste, il fonde une morale toute stoïcienne, il admet avec Kant et Jouffroy une loi morale absolue et universelle, qui s’impose à toute conscience avec une irrésistible autorité. Il croit à la responsabilité morale, à la justice distincte de l’intérêt, au droit et au devoir fondés sur des rapports absolus. Ainsi, sur la plupart des grandes questions de la psychologie et de la morale, M. Vacherot soutient les doctrines spiritualistes, à sa manière à la vérité, mais sans qu’aucun grand principe soit mis en péril. En est-il de même en théodicée ? Il faut reconnaître que non ; c’est sur ce terrain, c’est sur la définition de Dieu, que M. Vacherot se sépare de ses anciens amis, et remplace la théodicée de Leibnitz par celle de Hegel, ou le spiritualisme français par l’idéalisme allemand. Quel est le point précis sur lequel porte la dissidence entre lui et nous ? C’est ce que nous essaierons d’expliquer.

Il est un point de doctrine qui, dans l’école cartésienne et dans l’école spiritualiste contemporaine, n’a jamais été mis en discussion : c’est qu’en Dieu l’infini et le parfait sont une seule et même chose. Démontrer l’existence de l’être infini, c’est démontrer l’existence de l’être parfait. L’être et le bien s’identifient par définition même. Cette doctrine est celle de tous les cartésiens, de Descartes d’abord, de Spinoza, de Malebranche, de Fénelon ; elle n’a jamais soulevé l’ombre d’un doute dans le monde cartésien. Elle a été également adoptée dans l’école spiritualiste contemporaine. Dans cette école, c’est un principe hors de toute contestation, qu’il y a dans l’âme humaine une foi naturelle et irrésistible à l’infini et au parfait. Il y a un élan naturel qui, des choses relatives et contingentes, nous porte à l’affirmation d’un être absolu, nécessaire et parfait. Partout où quelque degré de réalité se présente à nous dans la nature, nous transportons par la pensée cette réalité dans l’absolu, et Dieu est ainsi le lien de toutes les idées et de toutes les essences ; il contient éminemment et sous la raison de l’infini tout ce que l’âme et la nature possèdent de perfections incomplètes. C’est ce que l’on appelle l’intuition pure, l’intuition immédiate du divin.

Or toute la métaphysique de M. Vacherot a pour objet de séparer les deux idées que l’école cartésienne et le spiritualisme contemporain unissaient d’une manière si étroite, l’infini et le parfait. Ces