Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/733

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tant est de savoir si elles devront cesser d’être, parce que, dans vos orgueilleuses et étroites définitions de la science, vous leur aurez interdit ce nom. S’il en est ainsi, interdisez donc à tout homme de penser, hors à ceux qui manient l’algèbre et les cornues ; établissez une nouvelle inquisition, et déclarez qu’en dehors des laboratoires et des amphithéâtres d’anatomie la pensée est défendue. Si vous reculez (ce qui n’est pas douteux) devant une extrémité aussi absurde, laissez la pensée s’exercer sur tout ce qui l’attire et la sollicite ; acceptez comme un des plus nobles fruits de l’esprit humain cette pensée sous sa forme la. plus élevée et la plus abstraite. Libre à vous de lui donner le nom qui vous plaira.

C’est une chose incroyable que les hommes ne puissent jamais se contenter d’une idée juste, et qu’ils n’en aient pas plutôt une de ce genre qu’ils éprouvent le besoin d’en faire une idée fausse. Par exemple, il n’y a pas sans doute grande nouveauté à faire remarquer que la philosophie est divisée en écoles et en systèmes, tandis que dans les sciences proprement dites on voit chaque jour augmenter le nombre des vérités incontestées sur lesquelles tout le monde est d’accord ; il n’y a pas là, je le répète, une grande découverte, et cependant c’est là un fait si remarquable, si important, si fâcheux, que si l’école positive s’était contentée d’y insister, et de tirer de là une ligne de démarcation entre la philosophie et les autres, sciences, on eût bien été obligé de reconnaître qu’elle avait raison. Si ensuite elle eût cherché l’explication de ce fait, si elle en eût donné de bonnes raisons, si elle avait proposé quelques moyens pour en atténuer les conséquences, elle aurait rendu service à la philosophie. Au contraire, entraînée par une aversion préconçue, elle s’est contentée de nier, d’exclure ; au lieu de nous éclairer et de nous aider, elle nous excommunie : solution négative et stérile, qui se contredit elle-même, car l’école positive est après tout une de ces écoles qui partagent la philosophie. Si elle critique, elle est critiquée ; elle a des partisans et des adversaires ; elle n’est pas seulement juge du combat, elle est au nombre des combattans. Elle-même a déjà ses sectes et ses écoles.

Si M. Littré voulait aller jusqu’au bout de sa pensée, il s’apercevrait que ses principes vont jusqu’à détruire non-seulement la métaphysique, mais toute philosophie, y compris la sienne. Si en effet l’esprit humain ne doit rien admettre que les faits constatés et les lois démontrées, il n’y a rien, absolument rien, en dehors des sciences positives elles-mêmes, qui sont précisément l’assemblage de ces faits et de ces lois. Il y aura donc une physique, une chimie, une zoologie, mais point de philosophie. Réunissez en un certain nombre de traités toutes les vérités constatées dans chacune de ces