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fausse, même au point de vue scientifique. Dire que l’âme est anatomiquement une fonction ou un ensemble de fonctions est une faute que l’on ne pardonnerait guère à un philosophe, si celui-ci avait eu le malheur de la commettre, car tout le monde sait que l’anatomie ne s’occupe que de la structure des organes et non de leurs fonctions. Je ne demanderai pas non plus comment il se fait que le domaine anatomique de l’âme soit plus étendu que son domaine physiologique, l’un comprenant tout le système nerveux, et l’autre réduit à l’encéphale. Toutefois ces erreurs et ces bizarreries ne sont rien auprès de la contradiction radicale qui existe entre une telle définition et la prétendue méthode de l’école positive. Si vous ne savez rien de l’essence des choses, pourquoi déclarez-vous que l’âme est une fonction du système nerveux ? Qui vous l’a dit ? De quel droit invoquez-vous une telle hypothèse, qui, après tout, est une hypothèse métaphysique, car personne n’a jamais vu de ses yeux un cerveau penser ? Si au contraire vous êtes assuré que le cerveau pense, pourquoi affecter ce prétendu désintéressement entre le matérialisme et le spiritualisme ? Pourquoi ne pas dire tout simplement que ce sont les matérialistes qui ont raison ? Pourquoi écarter d’abord toutes les solutions pour choisir ensuite celle qui vous convient ? Pourquoi se couvrir d’un apparent scepticisme qui peut séduire les esprits exigeans pour leur imposer ensuite, comme une conséquence nécessaire, la confusion de l’âme et du système nerveux ? Il est facile de montrer que les positivistes tombent dans la même inconséquence à l’égard de Dieu, car tantôt ils se contentent de dire que l’homme ne peut rien savoir des causes premières et des causes finales, tantôt ils nient toute cause première (en dehors du monde) et toute cause finale. — Tantôt il semble que, pour eux, Dieu soit un inconnu qui échappe à toute définition et toute détermination scientifique (ce qui n’en exclut pas la possibilité) ; tantôt ils déclarent expressément qu’il n’y a rien en dehors de la nature et de ses lois. En un mot, il serait possible au positivisme, s’il eût étudié un peu plus la philosophie, de prendre une assez belle place parmi les écoles que le scepticisme de Kant a enfantées ; mais trop souvent il retombe, comme malgré lui, dans l’ornière banale du matérialisme athée du XVIIIe siècle.

Sans aller chercher bien loin, j’en trouverai la preuve dans la nouvelle préface de M. Littré. Il consacre quelques pages de cette préface à l’une des questions qui lui tiennent le plus à cœur, la question des causes finales. Il nous fait d’abord une grave concession, car il reconnaît que dans certains cas, par exemple dans la structure de l’œil, la finalité est à peu près évidente. Il pourrait signaler d’autres faits non moins frappans : les sexes notamment,