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au peuplement. Aujourd’hui encore on les reconnaît à l’absence des maîtres et au manque de soins qui en est la suite. En vain a-t-on pris quelques garanties et imposé quelques charges ; ces garanties ont été annulées par des tolérances, ces charges éludées par un simulacre d’exécution. Il en est toujours ainsi dans un contrôle administratif sujet à des obsessions qui souvent le dominent. Le tort était dans le système, qui a porté les fruits qu’il devait et pouvait porter. On a eu en vue de constituer en Algérie la grande propriété, c’est à la petite propriété qu’il fallait d’abord songer : avec la première, point de peuplement ou un peuplement restreint ; avec la seconde, le peuplement allait de soi, sans effort, par le cours des choses. La terre attirait les bras, et avec les bras de la culture. Surtout point de débats préalables, point ou peu de formalités pour les concessions. Une loi en quelques lignes eût suffi ; sur les lieux, un bureau d’enregistrement eût assigné les lots et formé le nouveau cadastre. Les conflits de bornage eussent été vidés par les tribunaux mixtes ou directs. Il est à croire que si dans l’origine on eût suivi cette marche, on aurait aujourd’hui une Algérie tout autre ; Peut-être les spéculateurs qui promènent leurs loisirs sur le pavé de Paris n’auraient-ils pas assiégé les bureaux de leurs demandes ; dans tous les cas, ils auraient été devancés. Outre les colons que la France eût fournis, il en est d’autres que des affinités naturelles auraient appelés en Afrique. Les insulaires de Malte et des Baléares, qui, à force de patience et d’art, exploitent des rochers pulvérisés, les riverains de l’Espagne et de l’Italie méridionales, pour qui notre colonie est à portée du regard, n’eussent pas manqué d’offrir à l’envi leurs bras pour des cultures qui leur sont familières. Ils en sont les meilleurs métayers ; qu’eût-ce été si, par des tarifs de vente modérés, accessibles à tous, on les eût mis à même de devenir propriétaires ? Un courant d’émigration se fût établi, et on aurait eu par milliers ce qu’on n’a aujourd’hui que par centaines.

Le prétexte dont on s’est couvert pour résister à ces affluens qui auraient constitué la petite propriété est le soin de la défense. Il y aurait beaucoup à dire là-dessus, et si l’on voulait montrer ce qu’il faut attendre, ce que l’on obtient souvent de la libre initiative du colon, les exemples tirés de l’histoire ne manqueraient pas. Ni la Hollande ni l’Angleterre n’ont empêché des éclaireurs volontaires de s’établir sur les points de Java et des Indes où elles n’étaient pas en mesure de les défendre. Si l’on remonte aux origines de Saint-Domingue, on trouve quelques boucaniers jetés par la tempête au milieu de tribus de Caraïbes. Les conquêtes espagnoles ressemblent à des romans. De nos jours même, ces témérités d’autrefois se rencontrent dans des proportions moindres. Lorsqu’aux