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pierre en attachant le mineur[1]. Cela ne l’empêcha pas de se trouver, trois semaines plus tard, à la tête de sa compagnie, dont il était devenu capitaine, parmi les troupes qui, sous les ordres de Turenne, marchèrent au secours d’Arras, forcèrent le quartier des Lorrains et remportèrent l’honneur d’avoir fait reculer M. le Prince ; Deux mois après, Vauban accompagna le maréchal de La Ferté au siège de Clermont en Argonne, dont il conduisit les attaques, le chevalier de Clerville étant tombé malade. Cette petite place était celle où il avait fait, en 1652, son noviciat dans l’art de réparer des travaux de défense. Condamnée, en 1654, à perdre ses remparts, elle fournit à Vauban l’occasion d’apprendre comment on rase une fortification, et ce fut ainsi qu’il effaça les premières traces de son passage dans l’armée de M. le Prince. Ces épreuves sur le terrain valaient bien des examens théoriques. Le 3 mai 1655, Vauban, détaché du régiment de Bourgogne, reçut le titre et le brevet d’ingénieur ordinaire du roi.

Appelé à servir en cette qualité sous les ordres de Turenne, il conduisit presque seul les attaques de trois places, Landrecies, Condé et Saint-Ghislain ; les deux dernières se rendirent après trois jours de siège. La campagne achevée, Vauban fut employé à rétablir les fortifications de Condé. Apprendre à bien faire par l’exemple de ceux qui font mal, c’est une méthode excellente pour les esprits sagaces. La campagne de 1656 donna lieu à Vauban de perfectionner son éducation en ce sens. Il servait dans l’armée combinée de

  1. Voici une anecdote, racontée dans une lettre du comte de Tessé au duc du Maine, qui explique par le fait ce que veut dire attacher le mineur. Il s’agit dans cette lettre d’un mineur italien nommé Bambini. « Je sais, écrit M. de Tessé, qu’à Nice et à Montmélian on fut très content de lui, et je ne puis douter que ce ne soit un des hommes, non-seulement de France, mais peut-être de l’Europe entière, qui connoisse le mieux l’effet de la poudre et le travail des mines. Au surplus, c’est un petit pantalon vénitien qui n’est jamais pressé, un franc original qui va à son fait tranquillement, avec précaution, sans ostentation, et comme une taupe. Il lui arriva qu’au siège de Nice, Lapara lui montrant du doigt le lieu où il devoit se loger, et auquel il falloit passer pour arriver d’assez loin et a découvert, Bambini lui dit, dans le petit jargon qu’il s’est fait assez singulier, qu’il avoit vu d’autres fois que l’ingénieur marquoit lui-même avec la craie le lieu auquel le mineur devoit s’attacher. Lapara lui répondit chaudement : « Qu’à cela ne tienne, » et, passant à découvert au lieu auquel il lui avoit marqué du doigt qu’il falloit se loger, le marqua avec la craie. Bambini le suivit froidement et lui dit, quand le lieu fut marqué avec la craie : « Monsieur, voilà toute la cérémonie ; cependant vous êtes un téméraire, » et il se logea. Cette réponse fut trouvée plaisante. » Il faut ajouter, pour être tout à fait explicite, que le mineur se loge d’abord sous un abri formé par quelques madriers, jusqu’à ce qu’il ait percé son trou dans le mur ou revêtement d’un ouvrage occupé par les assiégés, lesquels ont le plus grand intérêt à lui rendre le logement aussi désagréable que possible, « de sorte, a dit Vauban, que la condition d’un mineur est extrêmement dangereuse et recherchée de peu de gens, et ce n’est pas sans raison qu’on dit ce métier être le plus périlleux de la guerre. »