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les mondes en équilibre dans leur orbite, ils maintiennent debout et font avancer les gouvernemens libres. Or, en Belgique, le parti du mouvement n’existe pas et n’a pu naître ; il a dû se réduire à n’être que conservateur, parce qu’il y a un autre parti, aussi puissant que lui, qui veut rétrograder. Il ne s’agissait pas de savoir si l’on marcherait en avant et par quelle voie l’on cheminerait, il fallait s’assurer d’abord qu’on ne marcherait pas en arrière.

La théorie philosophique qui forme le manifeste du parti catholique et les desseins qu’il avoue, ou qu’on lui connaît, justifient déjà les alarmes et les résistances du parti libéral. On les comprendra mieux encore quand on aura vu que l’adversaire qu’il lui faut combattre n’est autre que l’église elle-même, descendant dans l’arène tout entière depuis son auguste chef jusqu’à son plus humble ministre, avec toutes les armes et toute la puissance que lui donnent son ubiquité, son autorité sacrée et les sentimens pieux des populations belges.

Le clergé s’habitue avec peine au régime moderne, dont pourtant il a su tirer un si merveilleux parti, et dont il recueille tous les avantages. Il n’admet comme légitime que la liberté du bien ; la liberté du mal, en d’autres termes celle des hommes qui ne pensent pas comme lui, le blesse et l’irrite. Ses livres, ses souvenirs, Rome enfin, où il voit son idéal réalisé, lui montrent un ordre meilleur et plus conforme aux dogmes de sa foi. Cet ordre, il désire en doter son pays. Il veut donc de toute la force de ses convictions le triomphe de la religion, c’est-à-dire la domination du clergé. Pour l’assurer jadis dans les états despotiques, il fallait s’emparer du souverain par le confessionnal ; aujourd’hui il faut se rendre maître des chambres par l’élection. Le but est le même, mais l’arme est changée. C’est ainsi que le prêtre a été amené à se lancer à corps perdu dans l’arène des luttes électorales. D’abord la liste des candidats est arrêtée à l’ombre de l’évêché, puis les évêques eux-mêmes interviennent et publient un mandement, lu tous les dimanches au prône, dans lequel ils déclarent que la religion est en danger, que les vrais catholiques doivent voter avec leur curé, et qu’ils sont obligés en conscience d’employer tous les moyens pour faire triompher leur cause. Parfois même le pape apporte dans la lutte le poids de sa parole vénérée, en déclarant « qu’il ne peut contenir sa douleur à la vue des dangers qui menacent le catholicisme en Belgique (juin 1850). » Comme les populations sont restées très attachées à leur culte, dont elles accomplissent scrupuleusement les pratiques, l’effet de ces publications tombant de si haut est immense. Dans les villages, dans les villes, le sermon dominical est consacré à les commenter, à les faire pénétrer dans les âmes, à les appliquer aux adversaires qu’il faut renverser. Le confessionnal