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par leurs propres souverains, sont entrées dans une ère de progrès non interrompus. L’agriculture a doublé ses produits, l’industrie a au moins quadruplé les siens ; la population a augmenté d’un tiers, et la richesse générale s’est accrue dans une proportion bien plus grande encore. Les arts ont couronné d’une manière éclatante ce développement matériel, et le pays a su pratiquer le régime parlementaire et user de ses nombreuses prérogatives avec un bon sens solide et une inaltérable modération qui lui ont valu les sympathies de l’Europe.

Si jusqu’à ce jour l’épreuve de la liberté a réussi en Belgique, c’est un résultat qu’il faut attribuer à des causes complexes dont voici, si je ne me trompe, les deux principales. En premier lieu, ni la nation ni le souverain que la nation s’est choisi n’ont eu peur de la liberté. Tous deux, le roi et la majorité, l’ont scrupuleusement respectée, même quand elle les gênait ou semblait offrir des dangers. Or c’est à la condition de ne s’effrayer ni des violences, ni des excès qui l’accompagnent parfois qu’on parvient à la conserver et qu’on se rend digne d’elle.

Macaulay exprime cette vérité par une image pleine de sens et de poésie. « L’Arioste, dit-il, nous raconte l’histoire d’une fée qui par une loi mystérieuse de sa nature était condamnée à paraître sous la forme d’un hideux serpent. Ceux qui la maltraitaient pendant le temps de sa métamorphose étaient à jamais exclus des bienfaits qu’elle prodiguait aux hommes ; mais à ceux qui, en dépit de son aspect repoussant, avaient pitié d’elle et la protégeaient, elle se révélait plus tard sous la belle et céleste forme qui lui était naturelle : elle accompagnait leurs pas, exauçait tous leurs vœux, comblait leur demeure de richesses et les rendait heureux en amour et victorieux à la guerre. Telle est aussi cette déesse qu’on nomme la liberté. Parfois elle prend la forme d’un reptile hideux : elle rampe, elle menace, elle siffle, elle mord ; mais malheur à ceux qui, saisis de dégoût, essaient de l’écraser, et heureux au contraire les hommes qui osent la recevoir sous sa forme horrible et dégradée ! ils sont magnifiquement récompensés par elle au temps de sa beauté et de sa gloire. »

En 1846, les associations libérales de tous les pays envoyèrent à Bruxelles des délégués qui se formèrent en une sorte de convention pour fixer les principes de leur opinion et pour aviser aux moyens de combattre leurs adversaires, alors au pouvoir. Une haute autorité, pour laquelle le roi professait beaucoup de déférence, lui fit connaître qu’un « tel état de choses était incompatible avec l’existence d’un gouvernement légal et constitutionnel, » qu’il fallait y mettre un terme, maintenir le ministère et ne point transiger avec