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besoin est plus fort que sa volonté : il voudrait se fixer qu’il ne le pourrait pas. L’attrait de la propriété, le bien-être qui résulte d’une résidence fixe, la richesse même ne sauraient compenser pour lui les charmes de cette vie libre, errante, qu’il mène depuis tant de générations. Ayez recours à la force, il périra comme ont péri les Indiens de l’Amérique du Nord, qu’on a voulu fixer en leur créant une vie facile et agréable. D’ailleurs l’expérience a prononcé. On a bâti des villages, avec une mosquée au milieu, entourés de champs fertiles ; on a appelé les Arabes les plus misérables parmi ces misérables nomades, on leur a donné des instrumens de culture et des semences : ils sont venus, ils ont planté leurs tentes près des maisons, dans lesquelles ils ont parqué leurs moutons : au bout de quelque temps, la nostalgie s’est emparée d’eux, et ils sont partis. Des siècles sont nécessaires pour changer des instincts qui sont l’œuvre des siècles : c’est une loi de l’organisation vraie pour les hommes, vraie pour les animaux. Fixer des nomades ou fixer des hirondelles, tentatives du même genre et aussi vaines l’une que l’autre. L’hirondelle se brise la tête contre les barreaux de sa cage quand l’heure de la migration est venue ; l’Arabe est de même, il faut qu’il parte, et si vous le retenez, il dépérit et il meurt. Abandonnez-lui donc cette vaste région des hauts plateaux et ces portions du Sahara que le manque d’eau condamne à une éternelle stérilité. Qu’il promène librement ses nombreux troupeaux de la montagne à la plaine et de la plaine à la montagne. Une région impropre à la culture sera utilisée autant qu’elle peut l’être dans l’état actuel de la colonisation. Les moutons, par leur chair et par leur laine, sont une précieuse ressource pour la France et pour l’Algérie, la base de la nourriture animale dans toute la région méditerranéenne. Peu à peu, avec le temps, au contact de la civilisation, cette humeur vagabonde pourra se modifier ; mais le temps est un élément dont nul progrès ne saurait se passer. Une vérité ne s’établit qu’avec l’aide du temps, et on ne modifie les habitudes d’un peuple qu’en préparant le succès par l’action lente des siècles, la plus puissante de toutes dans l’ordre moral comme dans l’ordre physique.

Le Berbère est dans les oasis ce que le Kabyle est sur les montagnes : sédentaire, cultivateur, ami de la paix, il a besoin de la protection française contre l’Arabe, qui l’opprimait depuis si longtemps. Habitant la lisière de la région tropicale, accoutumé à la chaleur, il peut ajouter à ses cultures celles que cette zone nous offre dans d’autres contrées. C’est sur les confins du Sahara que le coton, la cochenille, peut-être même la canne à sucre, pourront être essayés à la condition de procéder avec prudence et sans précipitation. Toute culture qui prospère au Sénégal a des chances, de