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murs en terre percés en amont d’un orifice par lequel la rigole d’irrigation pénètre dans le carré. Les déblais employés à élever les murs étant empruntés aux chemins, ceux-ci sont en contre-bas des terres et servent à un double usage : ils facilitent la circulation dans l’oasis, et les eaux qui ont arrosé les jardins et dessalé le sol se déchargent dans ces chemins creux, d’où elles coulent vers les chotts ou forment des marais que l’incurie musulmane ne songe pas à dessécher. La fièvre s’élance chaque année de ces foyers d’infection et décime cruellement ces populations imprévoyantes. On comprend qu’une oasis soit une forteresse : chaque carré de jardin est une redoute ; le boulet se loge dans ces murs en terre, et s’il les perce, c’est une meurtrière nouvelle par laquelle l’Arabe glisse son fusil pour ajuster l’ennemi. Quand on a vu ces damiers de murs en terre avec les palmiers dont chaque tronc peut cacher un homme, on ne s’étonne plus qu’en 1849 la prise d’une seule oasis, celle de Zaatcha, ait coûté cinquante-deux jours de siège, neuf cents hommes et soixante officiers[1] Les villages eux-mêmes sont entourés de murs flanqués de tours et rappellent tous les motifs des fortifications pittoresques du moyen âge.

Le dattier[2] est l’arbre nourricier du désert ; c’est là seulement qu’il mûrit ses fruits : sans lui, le Sahara serait inhabitable et inhabité. La poésie arabe en a fait un être animé créé par Dieu le sixième jour, en même temps que l’homme. Pour exprimer à quelles conditions il prospère, l’imagination des Sahariens exagère le vrai afin de le rendre plus palpable. « Ce roi des oasis, disent-ils, doit plonger ses pieds dans l’eau et sa tête dans le feu du ciel. » La science consacre cette affirmation, car il faut une somme de chaleur de 5 100° accumulée pendant huit mois pour que le dattier mûrisse parfaitement ses fruits[3]. La somme de chaleur est-elle moindre, les fruits nouent, mais ils grossissent à peine, restent âpres au goût et privés de la fécule et du sucre qui constituent leurs propriétés nutritives.

Le climat du Sahara réalise ces conditions. La température moyenne de l’année doit être de 20 à 24 degrés, suivant les localités[4]. Les chaleurs commencent en avril et ne cessent qu’en octobre. Pendant l’été, le thermomètre atteint souvent 45 degrés, quelquefois 52 degrés à l’ombre, par exemple le 15 août 1859 et le

  1. Voyez, sur le siège de Zaatcha, le récit de M. Ch. Bocher dans la Revue du 1er avril 1851.
  2. Phœnix dactylifera.
  3. La chaleur n’étant utile à cet arbre qu’à partir du 18e degré, toute température inférieure à ce degré n’entre pas dans ce calcul.
  4. La température moyenne de Paris est de 10°,1’.