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communication que lui en fit le chargé d’affaires britannique, M. Grey, respirait le désenchantement. « Le mode de procéder suggéré par votre seigneurie serait, disait notre ministre, analogue à la marche suivie par la Grande-Bretagne et la France dans la question polonaise. M. Drouynde Lhuys n’avait aucune inclination (et il avoua franchement qu’il parlerait dans ce sens à l’empereur) à placer la France vis-à-vis de l’Allemagne dans la position où elle avait été placée vis-à-vis de la Russie. Les notes formelles des trois puissances à la Russie n’avaient eu aucun résultat, et la situation de ces trois puissances n’était rien moins que digne. Si l’Angleterre et la France adressaient à l’Autriche, à la Prusse et à la confédération germanique le mémorandum proposé par votre seigneurie, il fallait qu’elles fussent prêtes à aller plus loin, et à adopter une ligne de conduite plus conforme à la dignité de deux grandes puissances que celle qu’elles tenaient en ce moment dans la question polonaise. À moins que le gouvernement de sa majesté ne fût décidé à faire quelque chose de plus, si c’était nécessaire, que de présenter une simple note et de se contenter d’une réponse évasive, il était sûr que l’empereur ne consentirait point à adopter la suggestion de votre seigneurie. » Cette réponse de M. Drouyn de Lhuys à la communication anglaise, quoique peu accueillante, avait cependant le mérite de ne point repousser toute pensée d’action commune. Notre ministre témoigna, dans le même entretien, à M. Grey des opinions conformes à celles de lord Russell sur la validité du traité de 1852 et les droits du Danemark. Il ne repoussait pas l’Angleterre, il l’invitait à s’expliquer.

L’Angleterre devait s’expliquer plus tard ; mais au moment où elle devint plus précise, d’autres incidens avaient modifié la situation. Au mois de novembre, l’empereur avait proposé le congrès, et le roi de Danemark était mort. Le gouvernement anglais avait refusé le congrès, et la mort du roi de Danemark avait compliqué le litige dano-allemand d’une question de succession. C’est ici que M. Disraeli et l’opposition ont attaqué l’imprévoyance et l’imprudence du cabinet anglais : son imprévoyance, puisqu’en refusant le congrès, il ne craignait pas d’embarrasser et de blesser un gouvernement dont il devait savoir que le concours lui était nécessaire dans la question danoise ; son imprudence, puisqu’après avoir connu que le gouvernement français ne prendrait pas parti pour le Danemark, il avait continué à donner des espérances au Danemark et à menacer l’Allemagne. Il ne fallait pas rejeter le congrès au moins dans une forme blessante ; mais, le congrès étant rejeté, la politique d’abstention de la France étant connue, il fallait imiter l’empereur, il fallait déclarer au Danemark qu’on ne ferait pas la guerre pour lui. Tel est l’argument de M. Disraeli. Pour le justifier, le leader tory emprunte au blue-book les pièces qui font connaître, dès le mois de décembre 1863 ou tout au moins en janvier 1864, la politique d’abstention de la France. Ainsi le 19 décembre lord Wodehouse, envoyé extraordinaire à Copenhague, informait lord Russell que le général Fleury