Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/500

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour faire comprendre la possibilité d’une semblable recherche, prenons un exemple simple. Imaginons un fil télégraphique tendu parallèlement au cours de la Seine, à une certaine hauteur au-dessus des maisons qui la bordent. Un observateur qui se tiendrait la nuit sur la rive droite le verrait se projeter vis-à-vis de certaines étoiles situées du côté du midi, pendant qu’une personne placée sur le quai opposé apercevrait la silhouette noire du même fil vers le nord, en face d’étoiles différentes. Il est certain que les rayons visuels qui partent des yeux de chaque observateur pour aboutir de chaque côté aux étoiles observées se croisent au-dessus de la Seine sur le fil lui-même, et que, si on pouvait dessiner ou calculer la position de ces étoiles, on dessinerait ou on calculerait aisément la ligne de rencontre des rayons visuels, c’est-à-dire le fil. Rentrés chez eux, ces deux observateurs peuvent se communiquer leurs remarques, et mesurer sur une sphère céleste la direction et la hauteur des étoiles en question, vues du lieu qu’ils occupaient et à l’heure de l’observation. Ils auront ainsi la direction et l’inclinaison des rayons visuels. Cela fait, ils marqueront sur une carte de Paris les stations qu’ils ont occupées tous deux ; de là ils mèneront dans la direction des rayons visuels des lignes qui se rencontreront en des points situés sur la trace du fil à des hauteurs qu’il est aisé de calculer, et qui feront exactement connaître la position de ce fil télégraphique dont nous avons supposé l’existence.

Il est évident que l’on peut faire sur la traînée lumineuse dessinée au milieu du ciel par la course d’un bolide les mêmes observations que sur un fil établi à demeure, et tracer ensuite sur une carte la série des points qu’il a parcourus, ainsi que la hauteur de ces points au-dessus du sol. Or il s’est trouvé très heureusement que trois témoins instruits, MM. Lajous à Rieumes, Lespiault à Nérac, et Pauliet à Montauban, avaient signalé d’une façon fort précise les étoiles au milieu desquelles avait passé le bolide, le point précis où il s’était enflammé, et celui où il avait éclaté ; c’est grâce à leurs observations que M. Laussedat a réussi à reconstituer la trajectoire de ce météore. Une circonstance fortuite, mais précieuse, lui a offert une première confirmation de son travail. Un des correspondans, qui se trouvait à Ichoux, dans les Landes, avait vu le globe tomber verticalement, comme le ferait une pierre abandonnée à la pesanteur. Cette illusion venait de ce que la trajectoire était précisément dans un plan vertical passant par l’œil de l’observateur ; or il se trouva que la courbe tracée sur la carte par M. Laussedat rencontre en effet le village d’Ichoux. Voici encore un autre genre de vérification plus délicat et plus complet. Le tracé graphique assigne pour lieu de l’explosion un point situé au-dessus de Nohic, à 15 ou 20 kilomètres de hauteur. C’est là que le bruit le plus intense a dû se produire, et c’est de ce point qu’il s’est propagé en rayonnant jusqu’aux stations circonvoisines, à des distances que l’on put déterminer aisément. Comme le son parcourt 340 mètres par seconde, il fut également très facile de calculer le temps qu’il avait dû mettre pour arriver, ou l’intervalle