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des intervalles de degré ? Et pour en revenir au point en question, pourquoi la conscience serait-elle simplement la continuation d’un état antérieur et non pas l’apparition d’une force nouvelle, qui est précisément ce que les hommes appellent l’âme ? Pourquoi dans cette force nouvelle, la plus haute que nous manifeste la nature, n’y aurait-il pas un mode d’activité entièrement nouveau, à savoir la liberté ? Et pourquoi ne supposerions-nous pas d’autres forces et d’autres formes d’activité supérieures à celles-là, et enfin une force absolue, jouissant du plus haut degré et de la plus haute forme possible de l’activité et de l’être, et distincte de toutes les forces secondaires et subordonnées, aussi bien qu’elles sont distinctes les unes des autres ? Je sais qu’après avoir établi la distinction, il faudrait, s’il était possible, expliquer l’union ; mais on n’explique pas en supprimant, on ne résout pas un problème en le mutilant. Réduire toutes les forces de la nature à une seule et tout expliquer par les transformations insensibles d’une même substance, c’est revenir à Thalès et à la philosophie juvénile des premiers temps de la Grèce, c’est ne tenir compte d’aucun des progrès que la pensée a su accomplir depuis cette période brillante et féconde, mais pleine d’inexpérience.

Il est pourtant un phénomène où il semble que la diversité puisse se concilier avec la continuité, c’est le mouvement, car l’objet en mouvement ne cesse pas de se mouvoir, qu’il se meuve en ligne droite, en cercle, ou en spirale, qu’il se meuve lentement ou rapidement. Aussi cherche-t-on aujourd’hui à tout expliquer par le mouvement, et les progrès de la physique sont, il faut le dire, entièrement dans cette voie. Cependant, à supposer que le mouvement lui-même ne donnât pas lieu à de nouveaux problèmes, à supposer, si l’on veut, qu’il explique toute la nature physique, y compris même la végétation et la vie animale, je dis qu’il y aura toujours un point où il vous faudra reconnaître un hiatus, un saltus, un intervalle : c’est là que commencent la conscience et la pensée. Qu’un mouvement donne naissance à une pensée, bien plus qu’un mouvement soit une pensée, c’est ce qui est absolument incompréhensible. On aura beau dire que c’est la même chose avec la différence du dedans et du dehors, que la pensée, c’est le mouvement vu en dedans, et le mouvement, la pensée exprimée au dehors : ce sont là de pures métaphores qui ne signifient rien pour l’esprit. Quoi que prétende Spinoza, le cercle et l’idée du cercle sont deux choses très différentes : la pensée n’est pas au mouvement ce que le concave est au convexe.

On fait à la vérité à la philosophie spiritualiste une objection très sérieuse, et dont je reconnais la gravité. Cette philosophie, dit-on,