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dans ses rangs, à l’exception de son chef, aucun homme de quelque valeur. Détruire est chose facile, et il a pu le faire ; mais il s’est montré dans toutes les circonstances impuissant à rien édifier de sérieux, même sa dictature. M. Boulgaris personnellement est un homme d’une intelligence peu ordinaire ; on rencontrerait difficilement un type plus parfait de la finesse orientale ; il a le génie fertile et la souplesse du Byzantin avec plus d’audace. Ce n’est plus un Européen, c’est un pur Asiatique, et tout dans sa personne porte l’empreinte de ce caractère, jusqu’à son costume, car seul maintenant en Grèce il a conservé le djubeh, c’est-à-dire la longue robe des Orientaux de la vieille école, que les primats du Péloponèse avaient adoptée pour être agréables aux Turcs. L’âpreté qu’il déploie à la poursuite du pouvoir n’a pas de bornes. C’est un ennemi redoutable, car il sait être tantôt agressif et tantôt insinuant, diriger une opposition parlementaire et organiser des complots ; mais son génie n’est que celui du désordre : trois fois on l’a vu à la tête du pouvoir, et trois fois ses facultés supérieures, mal réglées, ont été incapables de prévenir un chaos ou lui-même n’a pas tardé à être entraîné. Sa jalousie ombrageuse contre tout ce qui pouvait s’élever à côté de lui l’a conduit à une rupture rapide avec les hommes de son parti qui commençaient à sortir de la foule et auraient pu lui fournir d’utiles auxiliaires : il leur a constamment préféré des instrumens que leur infériorité devait rendre plus dociles ; mais par cela même qu’il ne s’entourait que de médiocrités, le chef des révolutionnaires grecs a trahi une impuissance radicale à contenir et à discipliner son parti, dont la queue l’a toujours débordé. On se rappelle le mot d’une comédie : « ils m’ont nommé leur chef, il faut bien que je leur obéisse ; » rien ne résume mieux la situation de M. Boulgaris comme président du gouvernement provisoire et comme chef du premier cabinet de la monarchie.

La double nécessité de conserver l’assemblée nationale et de placer M. Boulgaris à la tête du cabinet mettait donc la nouvelle royauté hellénique dans une situation des plus délicates, à laquelle il n’était possible de trouver d’issue que par la prompte réalisation de l’union des Iles-Ioniennes. Le noyau des représentans qu’enverraient alors les électeurs des sept îles était seul de nature à modifier d’une manière sérieuse la proportion respective des différens. partis dans l’assemblée d’Athènes, en amenant un déplacement de. majorité qui assurât la prépondérance aux conservateurs. Ce n’étaient pas seulement des suffrages que les députés septinsulaires devaient apporter à la cause de l’ordre ; c’était une expérience de la vie constitutionnelle acquise à l’école de cette Angleterre qui, là même où elle est oppressive, possède à un si haut degré le don de