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le verre d’eau traditionnel à moitié route, sans autre inconvénient que les tourbillons de poussière qui sont en pareille saison le fléau de l’Attique.

L’aspect de la ville était changé avantageusement. De nouvelles places, de nouveaux boulevards récemment tracés, de belles maisons dans certains endroits où j’avais laissé des terrains vagues, moins de chiens errans, des trottoirs et des boutiques européennes sur des points où il n’y en avait pas en 1860 ; les somptueux bâtimens de l’Académie, en marbre du Pentélique, occupant une légion d’ouvriers et assez avancés déjà, ceux de l’École des Arts et Métiers commençant à sortir de terre ; la cathédrale grecque achevée et livrée au culte ; la grande église catholique, dont j’avais à peine vu les fondations, déjà munie de sa toiture ; le gaz dans les principales rues, dans les cafés, les boutiques et dans tout le bazar ; les fouilles de l’Acropole terminées, d’autres exécutées au portique d’Attale, au théâtre de Bacchus, au Pnyx, enfin vers l’emplacement de la porte Dipyle, où l’on avait découvert des tombeaux antiques de la plus admirable sculpture au milieu même des crises des mois de mai et de juin ; les musées du temple de Thésée et de la Société archéologique enrichis d’un grand nombre de précieux monumens que l’on continuait à recueillir avec un zèle actif : telles étaient les transformations que présentait la ville d’Athènes. Aucun vestige de la guerre civile, si ce n’est à la banque, où, afin d’exercer une pression sur le gouvernement, les ministres des deux puissances occidentales maintenaient un poste de matelots anglais et français.

En se promenant dans les rues, on pouvait se croire reporté de trois ans en arrière, à l’époque où les discordes politiques ne troublaient pas encore le pays. C’était la même activité bruyante de travail dans les quartiers populaires, la même circulation de voitures, les mêmes groupes de flâneurs. La frénésie des toilettes n’avait pas diminué dans les classes supérieures ; chaque soir, on voyait la même foule qu’autrefois balayer de ses robes de soie à la dernière mode de Paris la poussière de la route de Patissia ou se presser chez Solon, le Tortoni de la capitale de la Grèce. La saison des bains de mer du Pirée n’était pas encore terminée au moment de mon arrivée, et jamais elle n’avait été si brillante. Quant au peuple, il avait gardé sa gaîté spirituelle, sa passion de chanter en travaillant ou en se promenant ; seulement les vieilles ballades des klephtes et de la guerre de l’indépendance avaient fait place à des chansons nouvelles inspirées par les derniers événemens. Avec la complainte sur les victimes de Thermia[1], les plus populaires étaient les chansons

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1864.