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vie éternelle. Sur la première page, on lit encore le nom du donateur ou de la donatrice avec un mot d’amour à côté : tous les liens avec la vieille Europe sont rompus, excepté celui-là ; mais quel lien ! Et l’on s’étonne ensuite de découvrir des noyaux de population européenne qui ont su rester à notre hauteur sociale et morale malgré leur éloignement de tous les centres ! Croit-on d’ailleurs, pour envisager les choses d’un autre côté, que notre érudition critique, notre sens historique si merveilleusement développé que, sous ce rapport, nous sommes absolument sans rivaux dans le passé, notre linguistique et notre ethnologie comparées aient une autre origine que l’intérêt de premier ordre qui s’attacha à la Bible dès que l’esprit humain eut secoué le sommeil du moyen âge ? N’est-ce pas pour bien comprendre la Bible que l’on se mit à étudier avec tant d’ardeur le grec et l’hébreu ? N’est-ce pas aussi pour la défendre que l’esprit moderne se fît à un pli que l’esprit antique ne sut jamais prendre, c’est-à-dire qu’il s’habitua à l’idée que toutes les races et toutes les époques n’avaient pas eu la même manière de saisir et de sentir les choses ? Que les pieux amis de la Bible se tranquillisent : la critique peut modifier profondément les idées courantes sur la valeur théologique du livre saint, elle ne peut rien lui enlever de sa vraie valeur religieuse et morale. Un jour, dans une réunion d’hommes graves, on se demanda quel livre devrait choisir un homme condamné à la prison perpétuelle et ne pouvant en emporter qu’un dans sa cellule ; il y avait là des catholiques, des protestans, des philosophes, et même des matérialistes : tous tombèrent d’accord que c’était la Bible. Voilà un hommage qui vaut mieux que toutes les démonstrations dogmatiques, et si l’on y réfléchit bien, il dit tout.


ALBERT REVILLE.