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idole du temps de Louis XV, s’éteint dans une telle obscurité que la date de sa mort, encore inconnue, n’est placée en 1800 que sur la foi d’une tradition très vague ; on ne la suit avec certitude que jusqu’à là fin de sa captivité ; elle atteignait alors sa soixante- dixième année.

Tant de mécomptes, même dans la partie brillante de sa longue carrière, cette agitation, ce rôle quelquefois difficilement soutenu, expliquent chez Mme de Boufflers un esprit particulier qui a été remarqué de son temps. Robert Walpole l’appelait une savante. On citait d’elle un recueil écrit de maximes ; elle avait composé une tragédie en prose, et on la voit, vers la fin de 1781, former le projet, qui n’aboutit pas, d’une belle édition de Corneille à deux cents exemplaires. Mme de Genlis la dit une des plus aimables personnes qu’elle ait rencontrées, mais ajoute qu’elle avait dans l’esprit, « une certaine contrariété qui lui faisait soutenir des opinions extraordinaires et même extravagantes ; elle était trop ennemie des lieux communs. » Mlle de Lespinasse écrit de même : « J’ai diné mercredi chez Mme Geoffrin avec Mme de Boufflers ; elle fut charmante ; elle ne dit pas un mot qui ne fût un paradoxe. » Le prince de Ligne enfin, tout en revenant plus d’une fois sur son éloge, indique le même trait distinctif :

Dans le cadre élégant de la simplicité
Elle enfermait ses mots d’une grande beauté.
On pouvait la citer, mais jamais ne la croire,
Car dans le paradoxe elle mettait sa gloire.

Il semble qu’elle offrît en résumé un esprit d’une vivacité native et d’un charme souvent sympathique, mais qui, mis aux prises avec des froissemens et des dépits cachés, avait perdu dans cette lutte quelque chose de sa ferme rectitude en y acquérant peut-être plus d’éclat extérieur. L’ardeur dont ses lettres à Gustave III témoignent paraît avoir quelque chose de factice, et ne ressemble pas à l’ardeur sincère de Mme d’Egmont. Elle fait beaucoup de politique, mais en femme philosophe plutôt qu’en personne de sens et de cœur. En dépit de ses protestations de modestie et d’humilité, elle contracte une raideur qui la rend hautaine, et ce défaut, s’accroissant avec l’âge, risque de lui enlever ses derniers amis. Une de ses premières lettres justifiera tout d’abord une partie de cette appréciation en montrant une galanterie dans le style qui est un des accens habituels à l’auteur. Ce n’est rien moins que le récit d’un Songe adressé au roi de Suède l’année même de son départ de France.


« La lecture des histoires anciennes, des ouvrages des poètes et des romans