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une cluse des Alpes, un port des Pyrénées, la brèche de Roland transportée en Afrique ; pour les Arabes, c’est la bouche du désert. Le torrent et le fil du télégraphe électrique se glissent dans la gorge ; quelques palmiers rabougris apparaissent sur les bords de l’eau, un pont romain d’une seule arche traverse le torrent au point le plus resserré, des rochers verticaux couleur-de bitume semblent menacer le voyageur. Après quelques sinuosités qui en cachent l’issue, le défilé s’ouvre, et l’oasis d’El-Kantara, la première des oasis, apparaît à nos yeux. Une forêt de dattiers s’étend devant nous : couronné d’un panache de palmes vertes sous lesquelles pendaient des régimes d’un jaune rougeâtre chargés de dattes presque mûres, chaque arbre semblait une svelte colonne élevant dans les airs son élégant chapiteau formé de feuilles et de fruits. À l’ombre de ces palmiers, des abricotiers, des figuiers, des grenadiers, des figues d’Inde formaient un épais fourré. C’était un monde nouveau éclairé par un soleil splendide brillant dans un ciel d’azur, car, disent les Arabes, le Djebel-Gaouss arrête les nuages qui viennent de l’Atlas. L’air chaud et sec du désert, s’élevant le long des parois de la montagne, dissout la vapeur d’eau qui compose les nuages formés dans des régions plus froides, dit la science moderne. Le ciel, le sol, la végétation, ont changé, et avec eux les demeures des habitans. Les maisons, entourant une tour carrée, sont bâties en briques grises séchées au soleil, basses, surmontées d’une terrasse et percées de meurtrières étroites. Les anciennes tours de garde tombent en ruine. Jadis, avant que la France ne protégeât le paisible Berbère cultivateur de l’oasis, elles servaient à signaler de loin les Arabes nomades qui deux fois par an traversaient la bouche du désert pour gagner en hiver les pâturages du Sahara et en été ceux des montagnes. Située sur les limites de la région désertique, cette oasis a environ 5 kilomètres de longueur, et compte 76,000 palmiers. M. Henri Fournel, le premier géologue qui ait pénétré dans ces contrées, au printemps de 1844, avec la colonne expéditionnaire commandée par M. le duc d’Aumale, appelle avec raison El-Kantara l’Hyères du Sahara. Par 35° 16’ de latitude, les dattes y mûrissent à peine, de même que le bassin d’Hyères est le point le plus septentrional où l’arbre puisse être cultivé et passer l’hiver sans abri. Les 60,000 dattiers d’Elche, dans le royaume de Valence, en Espagne, par 39° 44 ! de latitude, forment la seule oasis, européenne : la nature du sol, la rareté des pluies, l’exposition, la chaleur du climat, la présence d’un certain nombre de plantes sahariennes, rendent compte de cette culture exceptionnelle ; mais pour que le dattier, mûrisse complètement ses fruits, il faut s’avancer dans le Sahara jusqu’au 33e degré de latitude. Là se récoltent les