Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1848 pour les idées conservatrices. Peut-être, dans les affronts politiques que subit aujourd’hui lord Palmerston, ceux qui ont gardé la mémoire du passé verront-ils un juste retour de fortune, punissant le vieux ministre, au couchant de sa carrière, de l’imprévoyante et cruelle légèreté avec laquelle il traita autrefois le grand intérêt de l’alliance anglo-française. Ce capricieux homme d’état revint cependant à nous après 1852, quoiqu’il nous trouvât alors dans des conditions tout autres que celles de 1830. L’alliance anglo-française fit la guerre de Crimée, et par cette guerre rompit la coalition du Nord. Un autre grand acte de l’alliance anglo-française fût l’unité italienne, mais ce fut le dernier. L’alliance véritable ne survécut point à l’affaire des annexions. Depuis quelques années donc, l’Europe n’a plus ces combinaisons qui lui servaient de règle et de contre-poids. Les anciens alliés se jouent entre eux des tours cruels. On a vu l’Autriche laisser battre la Russie en Orient ; on a vu la Russie se donner la maligne joie non-seulement de laisser battre l’Autriche en Italie, mais d’empêcher l’Allemagne d’aller à son secours, — puis reconnaître le nouveau royaume italien, épigramme à laquelle l’Autriche ripostait, il y a un an, en se mêlant de donner des conseils amicaux à la Russie sur l’administration de ses provinces polonaises. L’alliance occidentale a, dans ces derniers temps, donné le spectacle d’un échange de procédés aigres-doux qui correspondaient aux querelles de la coalition du Nord. L’an dernier, l’Angleterre laissait à la France tous les embarras de l’initiative que nous avions prise dans la question de Pologne, et aujourd’hui la France laisse à l’Angleterre tout le fardeau de sa déconfiture diplomatique dans l’affaire dano-allemande.

Il n’est pas possible que cet état anarchique dure longtemps encore. Les grands intérêts sur lesquels repose la vie politique de l’Europe ne peuvent pas continuer à vivre dans de telles incertitudes. Partout on a besoin de repos d’esprit, de sécurité, des garanties d’ordre et de suite que l’on a eu l’habitude de trouver dans des systèmes politiques définis et ayant quelque apparence de durée. Ou la lutte des principes qui se partagent l’Europe s’engagera au hasard de l’heure et du moment, et alors qui sait si nous Européens, qui regardons avec tant de mépris l’anarchie américaine, nous ne tomberons point à l’improviste dans une guerre aussi désordonnée et aussi acharnée que celle qui déchire les États-Unis ? Ou bien l’un de ces principes prendra l’avance par la combinaison de ses alliances et le concert de ses forces, et infligera à l’autre de soudains échecs et une longue déchéance. Or notre crainte, c’est que l’avance ne soit prise par le principe despotique, aristocratique, réactionnaire. En face de la France, de l’Angleterre, de la Russie, isolées et inactives, l’Allemagne seule en ce moment représente un concert de volontés et de forces. On a beau dire que ce concert ne saurait être durable, parce qu’il embrasse des intérêts fort divers ; ce qui peut le prolonger plus qu’on ne le croit, c’est la satisfaction extraordinaire que ressentent en ce moment ceux qui y prennent part. L’Allemagne éprouve à l’heure qu’il est un sentiment bien nouveau pour elle, et