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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 juin 1864.

Le fait de l’avortement de la conférence de Londres peut être apprécié à divers points de vue. Les uns, tels que M. de Bismark et la cour de Berlin, ont le droit de s’en réjouir comme d’un triomphe ; d’autres, comme les Danois, peuvent envisager cette fin d’une négociation illusoire avec tristesse sans doute, mais avec une tristesse fière, car leur cœur, dans cette épreuve, a été plus grand que leur fortune, et s’ils se sont montrés prêts à faire des sacrifices nécessaires, s’ils sont résolus à subir de nouveaux revers, ils n’ont à se reprocher aucun acte d’hypocrisie ou de lâcheté. Les uns, comme les Anglais, qui ont pris le rôle dirigeant dans cette impuissante tentative de conciliation, doivent éprouver un embarras qui touche à la confusion ; d’autres, les petites âmes, qui abaissent volontiers la politique à un jeu de petites niches, et qui cherchent leurs bonnes fortunes dans le désappointement d’autrui, ne voient dans la stérilité de la conférence qu’un affaiblissement moral de l’Angleterre, et s’en félicitent. Les mésaventures de lord Palmerston et de lord Russell mettent Lilliput en liesse. Les Anglais exceptés, il y a aujourd’hui de par le monde des hommes qui se considèrent comme de grands politiques et se rendent à eux-mêmes le témoignage que, depuis six mois, ils n’ont pas commis une seule faute. Si l’on craint de s’arrêter aux petits côtés de la dernière négociation, si l’on s’attache à la situation générale de l’Europe, que cet échec révèle avec un nouvel et triste éclat, il ne paraît certes pas que personne ait le droit de s’adresser un pareil compliment.

Le triste enseignement qui sort des protocoles que lord Russell et lord Palmerston viennent de présenter au parlement est celui-ci : il n’y a point en ce moment en Europe une autorité morale suffisante pour prévenir ou empêcher dans les relations internationales l’accomplissement d’un acte regardé par la majorité incontestable de l’opinion européenne comme injuste, illégal, entaché d’inhumanité, et menaçant la sécurité et la paix gé-