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plusieurs feuilles, car tous les partis veulent être armés dans cette mêlée. Il n’y a pas à s’effrayer beaucoup de cette confusion qu’un usage immodéré de la liberté peut jeter dans les mœurs politiques de ce peuple. Sans doute, si la situation violente des premiers momens se fût prolongée, elle eût paralysé les forces vives de la nation ; mais les leçons n’ont point été perdues pour la génération actuelle, qui, studieuse et honnête, montre une rare aptitude gouvernementale, — et ce qui mérite d’être remarqué, c’est que l’armée a fourni souvent à la presse comme à l’administration quelques-unes de leurs plus brillantes individualités.

Ce n’est pas de la part de tels hommes qu’il peut y avoir à craindre une conspiration des maréchaux, comme celle qui eut lieu en 1836. Leur grade ne s’élève guère au-dessus de celui de capitaine. José Estevao Coelho de Magalhaès était cependant lieutenant-colonel ; mais M. Fontes est capitaine, M. Latino Coelho est capitaine, M. Thomas Lobo de Avila est lieutenant, etc. La chambre des députés, les hautes fonctions administratives sont remplies de ces lieutenans ou capitaines, de même que la presse trouve parmi eux ses chroniqueurs et ses polémistes. J’avoue que je ne comprends guère la position hiérarchique de tous ces officiers vis-à-vis de leurs supérieurs. Je sais bien qu’ils ne sont pas spécialement attachés à un corps, ils sont en commission. J’ai vu cependant un jeune lieutenant, devenu ingénieur, être obligé d’aller reprendre ses épaulettes dans un régiment d’infanterie ; un autre, plusieurs fois député et venant de gouverner une colonie, se demandait en riant comment il s’y prendrait désormais pour enseigner la charge en douze temps aux jeunes conscrits. Lorsque l’on voit tous ces hommes, jeunes encore, se charger de régulariser le jeu des institutions, il est bien difficile de ne pas leur souhaiter le succès ; y eût-il même quelque faute commise, pourrait-on se montrer bien sévère ? Le caractère des populations a beaucoup secondé leurs efforts, il faut le dire. Pour n’en citer qu’un exemple, si l’on a cru pouvoir supprimer la peine de mort, c’est peut-être moins par des considérations philosophiques et morales qu’à cause de la rareté de l’assassinat ; même quand il y avait quelque meurtre, presque jamais il n’avait le vol pour mobile : c’était un acte de vengeance ou l’effet d’un emportement momentané. À mesure que l’instruction se développera, les mœurs iront se dépouillant de leur rudesse, l’ardeur du sang s’apaisera, et le peuple portugais, appréciant mieux les ressources du pays, évitera de compromettre ses intérêts dans les aventurés. Déjà, sur les bords du Tage, tous les hommes politiques ont parfaitement senti combien un travail paisible et suivi est plus fécond que ces tristes agitations au milieu desquelles