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heurtaient affairés le nègre africain, l’Indien, le matelot de la Baltique et le Levantin.

Avant d’avoir pu me reconnaître dans la confusion du débarquement, je me trouvai, grâce à un obligeant douanier qui daigna me qualifier d’excellence, dans une voiture de la dernière originalité. C’était une sorte de cabriolet couleur jaune serin, haut monté sur ses roues, traîné par deux chevaux fantastiques, sur l’un desquels se tenait en selle un postillon dont les formes obèses se renfermaient à grand’peine dans une veste courte et une culotte de peau ; un chapeau impossible et des bottes de gendarme complétaient son costume. Je craignis un moment qu’un pareil équipage ne parût aux Lisbonnais trop excentrique. Cette machine avec son bruit de ferraille n’étonna cependant personne. Je traversai ainsi le quartier le plus riche, les rues les plus élégantes, la ville neuve, le Chiado : pas un des rares passans qui à cette heure de midi se cachaient sous leur parasol ne parut remarquer mon véhicule antédiluvien malgré le contraste de cette vieillerie carnavalesque avec les élégantes voitures de place qui sillonnaient autour de moi les rues de Lisbonne.


II

Avant mon entrée en Portugal, j’avais lu tout ce qui avait pu être écrit sur ce pays, et je m’étais fait un petit royaume constitutionnel de fantaisie. Arrivé à Lisbonne, à peine reposé, mon premier soin fut de chercher la ville que j’avais rêvée, et, pour mieux préciser mes idées, j’ouvris un honnête guide du voyageur. Mes yeux et ma pensée furent bientôt à tout autre chose. La nouveauté de l’entourage me captivait ; la propreté de l’installation à l’hôtel d’Italie, où j’étais descendu, me faisait éprouver un sentiment de bien-être auquel les hôtels de Madrid ne m’avaient guère habitué. Au reste, contrairement aux idées reçues, les hôtels portugais sont d’une propreté qui n’a rien de péninsulaire. En me balançant sur un fauteuil de jonc à bascule, je voyais d’un côté le mouvement de la foule sur la place de Loreto, tandis que d’un autre côté mon regard rencontrait dans la rade le triste Vasco-da-Gama, vieux vaisseau désemparé dont le nom seul rappelle une période glorieuse de l’histoire portugaise. Je ne sais plus où j’en étais lorsqu’un joyeux carillon partant de toutes les églises, et elles sont nombreuses, vint troubler toutes mes idées. Jetant alors au vent mon guide et mon érudition, je m’élançai dans les rues de Lisbonne.

Je sortis, conservant le nom de l’hôtel et de la place sur laquelle il se trouvait. Mon vagabondage aurait pu devenir pénible, si je m’étais