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parlerait de la nécessité de l’observation et de l’autorité de l’expérience avec plus de respect et de soumission ? Le docteur Chalmers n’en est pas moins un vrai et fervent chrétien ; sa foi religieuse égale sa rigueur scientifique ; il accepte et professe Jésus-Christ et sa doctrine aussi hautement que Bacon et sa méthode. Et ce n’est pas que sa religion ne soit, pour lui, qu’un résultat de l’éducation, de la tradition et de l’habitude ; elle est réfléchie et savante aussi bien que son étude des sciences naturelles ; dans l’une comme dans l’autre sphère, il a sondé les sources et pesé les motifs de sa croyance. Comment est-il arrivé à un si ferme repos dans l’un et l’autre travail ? D’où vient en lui cette harmonie entre le philosophe et le chrétien ?

Je laisse encore parler le docteur Chalmers lui-même. « Plus nos connaissances dans toutes les sciences naturelles s’étendent, dit-il, plus elles doivent, au lieu d’ajouter à notre présomption, nous donner un sentiment plus profond de notre ignorance et de notre incapacité naturelles quant à la science des choses divines… C’est comme si, en étudiant la politique de quelque monarque terrestre, nous faisions la découverte, jusque-là inconnue, d’empires et de territoires lointains qui lui appartiennent, et dont nous ne savions que l’existence et le nom ; notre étude en serait fort compliquée sans que son objet définitif nous en devînt plus intelligible et plus clair. Il en est ainsi de toutes les merveilles nouvelles que la science découvre aux regards de ses adeptes ; elles peuvent agrandir beaucoup devant nous les perspectives de la création, et en même temps jeter une ombre plus épaisse sur les desseins et les voies du Créateur. Ce télescope qui nous a ouvert le chemin vers des soleils et des systèmes innombrables laisse dans le plus profond mystère le gouvernement moral de ces mondes ; le spectacle de jour en jour plus étendu de l’univers matériel nous apprend de plus en plus combien nous savons peu de l’univers spirituel ; il ne nous révèle, de ces mondes qui roulent dans l’espace, que leur mouvement, leur grandeur et leur nombre, et nous restons encore plus étrangers à l’égard du gouvernement divin que lorsque nous parlons de notre terre comme de l’univers, et du genre humain comme de la seule famille spirituelle que Dieu ait chargée d’un corps et placée au milieu d’un système matériel. Savoir qu’il y a certaines choses que nous ne pouvons savoir est en soi une connaissance aussi précieuse que sûre, et il n’y a point de plus grand service à rendre à la science que la juste détermination de ses limites[1]. »

Que fait le docteur Chalmers en tenant, ce langage ? Il sépare le fini de l’infini, la création du créateur, le monde gouverné du souverain

  1. Chalmers’s works, natural Theology, t. II, p. 249-265.