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toute persécution, car nul ne pourrait, sans ridicule, taxer de persécution les sacrifices ou les déplaisirs que peut lui imposer, dans certains cas, la manifestation de sa croyance ; pour tous, cette manifestation est libre, et ne saurait coûter à personne aucun des droits ni des biens de la vie civile. La liberté religieuse, c’est-à-dire la liberté de croire, de croire diversement ou de ne pas croire, est encore imparfaitement acceptée et garantie dans divers états ; mais il est visible qu’elle devient de plus en plus le fait général, et qu’elle sera désormais le droit commun dans le monde civilisé.

L’une des causes qui rendent ce fait si puissant, c’est qu’il n’est pas isolé ; il tient sa place dans la grande révolution intellectuelle et sociale qui, après une fermentation et une préparation de plusieurs siècles, a éclaté et s’accomplit de nos jours. L’esprit scientifique, la prépondérance démocratique et la liberté politique sont les caractères essentiels et les tendances invincibles de cette révolution. Ces puissances nouvelles peuvent tomber dans d’énormes erreurs et commettre d’énormes fautes qu’elles paieront toujours chèrement, mais elles sont définitivement installées dans la société moderne : les sciences continueront de s’y développer dans la pleine indépendance de leurs méthodes et de leurs résultats ; la démocratie s’établira dans les positions qu’elle a conquises et dans les voies qui lui sont ouvertes ; la liberté politique, à travers ses orages et ses mécomptes, se fera plus ou moins lentement accepter comme la garantie nécessaire, de tous les biens acquis et de tous les progrès possibles dans l’ordre social. Ce sont là maintenant des faits dominateurs auxquels toutes les institutions publiques doivent s’adapter, et avec lesquels toutes les autorités morales ont besoin de vivre en paix.

La religion chrétienne n’est pas dispensée de cette épreuve : elle la surmontera comme elle en a surmonté tant d’autres. Elle ne serait pas d’origine et d’essence divine, si elle ne pouvait pas se prêter aux formes diverses des sociétés humaines, et leur servir tantôt de guide, tantôt d’appui dans toutes leurs vicissitudes, heureuses ou malheureuses ; mais il importe infiniment que les chrétiens ne se fassent point d’illusion sur la lutte qu’ils ont à soutenir, sur ses périls et sur les armes qu’ils y peuvent employer. Contre la religion chrétienne, l’attaque est ardente et poursuivie tantôt avec un fanatisme brutal, tantôt avec une habileté savante, et au nom tantôt des plus mauvaises passions, tantôt de convictions sincères ; les uns la contestent comme fausse ; les autres la repoussent comme trop exigeante et gênante ; la plupart la redoutent comme tyrannique. On n’oublie pas vite l’injustice et la souffrance ; on ne guérit pas aisément de la peur. Les souvenirs de la persécution religieuse sont encore vivans, et entretiennent dans une multitude d’esprits, d’ailleurs