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point de perdre jusqu’au souvenir du marbre de Carrare ; mais c’est alors que Pise, avec ses valeureux enfans, commence la première la renaissance des arts en Italie. Dès le XIe siècle, il faut du marbre aux architectes pour édifier le Dôme, le Baptistère, la Tour penchée et le Campo-Santo : c’est vers Carrare qu’on se tourne. Depuis lors, les carrières n’ont plus cessé d’être exploitées. Les belles églises de Lucques, modèles d’architecture lombarde, les palais de Gênes, de Pise, sont faits du marbre de Carrare. Quand les arts ont été à leur apogée, en quelque lieu de l’Europe que ce fût, l’exploitation des carrières a atteint sa période la plus brillante, comme elle a déchu dans les momens de décadence. Le siècle de Léon X, le siècle de Louis XIV ont ainsi marqué pour Carrare, comme déjà le siècle d’Auguste, et avant lui la période étrusque, les plus célèbres époques de l’exploitation et du commerce des marbres. La prospérité des carrières a, comme de raison, marché de pair avec celle de l’architecture et de la statuaire. Louis XIV surtout a demandé à Carrare ses masses les plus belles pour orner Versailles. Le marbre pur et sans tache n’a pas été seulement réservé aux statues, on l’a prodigué dans les vasques des fontaines, dans les balustrades des jardins, jusque dans les parquets[1]. La consommation a été énorme, et si aujourd’hui quelques-unes des montagnes de Carrare ne produisent plus de statuaire, c’est que les filons sont épuisés après des demandes si répétées, après plus de deux mille ans d’une exploitation presque continue. Cependant la trace laissée par la main de l’homme est à peine visible sur les imposantes masses calcaires dont sont formés les monts carrarais, tant il est vrai que les forces de l’homme se réduisent à bien peu de chose, mises en opposition avec celles de la nature.


IV

Les montagnes voisines de Carrare sont coupées d’anfractuosités profondes, aux pentes desquelles sont attachées les carrières. Les trois principales de ces coupures naturelles portent les noms de Ravaccione, Canal grande ou Fantiscritti et Colonnata ; elles se ramifient derrière Carrare comme les branches d’un éventail.

La vallée de Ravaccione est surtout intéressante à visiter : elle est

  1. À cette époque, les marbres de Carrare arrivaient en France par le Rhône. On transbordait les blocs à Arles. À Lyon, on prenait la Saône, puis les canaux, et l’on atteignait Paris et Versailles par la Seine : il fallait quelquefois deux ans pour le voyage. Aujourd’hui, par l’Atlantique et Rouen, c’est l’affaire de deux mois. Quand une voie ferrée continue reliera l’Italie à la France, le même transport ne demandera que quelques jours.