Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de son père en face de la république de Pologne, se compare au Nicomède de Corneille. Prusias, c’est le roi de Pologne ; Flaminius, c’est la république dominant le roi ; Nicomède, c’est lui, Maurice de Saxe, essayant de rendre au roi le sentiment de sa dignité souveraine et ne faisant que lui inspirer de ridicules alarmes :

Ah ! ne me brouillez pas avec la république !


Il y a une différence pourtant : le Nicomède du poète, pareil à ce Polyeucte dont l’enthousiasme chrétien convertit Pauline et Félix, finit aussi par éveiller le goût de l’indépendance et chez Prusias, et chez Attale, et chez Arsinoé ; Maurice au contraire est demeuré seul, Nicomède est vaincu. Noble défaite après tout, et qui le désignait aux chances glorieuses de l’avenir ! Son père a beau le traiter de galopin, l’impression générale de cette histoire est restée dans le souvenir des hommes du XVIIIe siècle, et Rulhière, qui était loin de connaître les détails publiés aujourd’hui en France pour la première fois, en résume fidèlement l’esprit quand il écrit ces mots : « Le jeune comte de Saxe ne manqua point à sa fortune ; réduit à se défendre contre deux puissances, dont l’une employait l’autorité des lois, le traitait de rebelle et sous ce titre mettait sa tête à prix, et dont l’autre, n’ayant que la force pour elle, fit envahir le pays par une armée, il osa soutenir une guerre. Il trouva des ressources dans son génie ; il se retira avec honneur, quand il ne lui resta plus aucune autre ressource que la retraite, conservant ses droits, s’il en avait, et ayant commencé d’acquérir par cette entreprise illustre, quoique malheureuse, le nom qui le rendit immortel[1]


II

Et maintenant, en attendant les grands jours, le voilà qui prend place au souper de Candide. L’hôtellerie de Venise pour lui, c’est la France de Louis XV ; le carnaval où il va chercher à se distraire, c’est le Paris du XVIIIe siècle.

Ce Paris, qui devait plus tard lui prodiguer tant d’ovations, lui faire décerner tant de couronnes par des déesses d’Opéra au milieu des acclamations de la foule, Paris d’abord ne fit guère attention à sa présence. Ses aventures de Courlande l’avaient rendu plus célèbre dans l’Europe du nord que chez les Parisiens. Les chroniqueurs du temps, soit l’avocat Barbier, soit le duc de Luynes, ne commencent à citer son nom qu’après plusieurs années. Il va peu à la cour, il chasse, il dort, il s’amuse enfin, c’est-à-dire qu’il meurt

  1. Rulhière, Histoire de l’anarchie de Pologne, livre III.