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me reprocher, et soit sur une brèche, sur un échafaud ou par une fièvre que je termine ma vie, il n’importe guère… Je déteste toute fortune qui me viendra par trahison. »


Il reste donc, et tout d’abord on dirait que la fortune veut récompenser son héroïsme. Le gouvernement moscovite envoie un de ses agens, le comte Dévier, déclarer aux Courlandais que la Russie les soutiendra contre la Pologne. Mais nous marchons ici de surprise en surprise. Les péripéties se succèdent comme dans une comédie de cape et d’épée. Le comte Dévier, après avoir rassuré les Courlandais, revient le 9 février à Saint-Pétersbourg. Huit jours après, Lefort annonce à ses correspondans de Varsovie un événement « qui va changer tout le système de la machine. » Lefort avait bien raison de redouter ces parens de l’impératrice qu’il fallait placer à tout prix, ces meuniers à peine débarbouillés de leur farine dont il fallait faire des cordons bleus ! « Je sais de bonne part, dit-il, que samedi passé le mariage entre Sapiéha et la nièce Sophie s’est conçu, l’on dit même signé, et que le fils de Menschikof doit épouser la sœur de Sophie et être fait duc de Courlande. Cet enfant fut fait avant-hier chevalier de l’ordre, des mains de Catherine, chose inouïe. La tsarine lui donna son ruban même et la croix et l’étoile qu’elle a portés, ornés de brillans. »

Ainsi Menschikof avait recherché pour son fils l’alliance que Lefort aurait désirée pour Maurice. C’est la revanche de Menschikof dans cette longue bataille, et c’est aussi une preuve nouvelle que le diplomate saxon avait le nez fin. Faut-il ajouter à cela les fautes de Maurice auprès d’Anna Ivanovna ? Tous les biographes de Maurice racontent qu’il perdit l’appui de la douairière de Courlande précisément au mois de janvier ou de février 1727 pour avoir courtisé une de ses filles d’honneur. L’événement, à coup sûr, n’a rien d’invraisemblable ; mais les circonstances du récit ont bien l’air d’appartenir aux arrangeurs vulgaires du XVIIIe siècle. En tout cas, peu importe ; le désir de procurer un établissement à la famille de l’impératrice, la pensée d’utiliser à cet effet les embarras de la Courlande, toutes ces choses aujourd’hui révélées par les dépêches des archives de Saxe suffisent pour expliquer le revirement de la politique russe.

Ce revirement allait-il changer les dispositions des Courlandais ? La diète de Mitau venait de se réunir au mois de février, et il s’agissait de prendre une résolution définitive. Laquelle ? Céder à la Pologne, ménager la Russie, ou persister à soutenir l’élu du 28 juin ? Au milieu des complications aggravées de jour en jour, il n’est pas surprenant que l’unanimité du premier vote ait disparu. Maurice fut obligé de déployer tous ses talens politiques pour rallier ses amis de