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Nous trouvons des détails fort curieux sur son existence à Mitau pendant ce mois de janvier 1727, où se débattait pour lui une question décisive, to be or not to be. Aurore de Kœnigsmark avait envoyé auprès de son fils un jeune gentilhomme suédois, le comte Axel Cronhielm, qui cherchait aventure. C’était pour elle un moyen d’avoir des nouvelles de Maurice, de le surveiller de loin, de lui faire parvenir plus sûrement ses secours ou ses conseils. Le comte Axel, dont l’imagination, à ce qu’il paraît, s’était bâti des châteaux en Courlande, fut un peu désappointé en voyant de près la situation de Maurice. Singulier souverain que ce duc en espérance ! Point de palais, point de maison organisée ; tant qu’il n’est que successeur désigné du vieux duc, il n’a droit à aucun des revenus de la couronne. « Sans les trois mille ducats que le roi de Pologne lui a fait passer dernièrement, ses affaires seraient dans le plus misérable état. La noblesse de ce pays est incroyablement avare. Maurice a une garde de cent hommes, dont quarante ont été raccolés avec peine. Voilà toute son armée, et comment la paiera-t-il ? Je n’en sais rien. » On voit quelles illusions se faisait Maurice quand il se croyait sûr de mettre prochainement sur pied une armée de quatre mille hommes. Les Courlandais, malgré, leur enthousiasme chevaleresque et patriotique, ressemblaient en cela aux seigneurs féodaux de la Pologne. « La noblesse, dit Voltaire, monte à cheval dans les grandes occasions… La difficulté des vivres et des fourrages la met dans l’impuissance de subsister longtemps assemblée. » Maurice trouvera peut-être une armée quand sonnera l’heure de la lutte ; en attendant, il est seul avec une centaine de gardes. Voilà ce que le comte Axel écrit à Aurore de Kœnigsmark. Et quel séjour que celui de Mitau ! Que faire ? que devenir ? comment tromper l’ennui ? « Le prince en est réduit à passer au lit la plus grande partie de la journée et à se faire lire Don Quichotte, »

Pendant que le comte de Saxe, en rêvant aux difficultés de sa situation, écoute les aventures du chevalier de la Manche, on ne s’étonnera pas que des idées extravagantes lui traversent quelquefois le cerveau. La Pologne est hostile, la Saxe joue un double jeu, la Russie, qui ne songe qu’à ses intérêts, va lui tourner le dos à la première occasion ; à qui s’adresser ? Il conçut le projet de faire appel aux Anglais en leur offrant un établissement maritime sur les côtes de Courlande. C’était soulever contre soi et la Russie, et la Suède, et l’empire d’Allemagne, toute l’Europe du centre et du nord. M. de Manteuffel fait allusion à ce projet quand il écrit : « Ses propositions sont des plus vastes, des plus scabreuses et des plus mal digérées. » Le même personnage revient encore sur ce sujet dans une lettre à M. de Fontenay, l’un des compagnons de Maurice,