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affaire, déjà si connue, et qui a défrayé l’imagination d’un Niccolini, d’un Guerrazzi, et de bien d’autres dramaturges ou romanciers, ne donnait plus matière qu’à un mémoire ou à un récit comme celui que publiait dans la Revue, il y a vingt-sept ans, Henri Beyle[1]. M. Dalbono a eu connaissance de ce travail, et il l’indique en passant ; mais il n’en paraît pas connaître l’auteur, et il semble croire que Stendhal s’est borné à traduire le manuscrit qu’il avait sous les yeux. On peut bien voir pourtant dans ce rapide et saisissant récit que le goût français avait élagué maint détail oiseux ou répugnant, et répandu la vie dans les pages inanimées du document original. Sans aucun doute, M. Dalbono a puisé à un plus grand nombre de sources ; mais celle dont Beyle avait fait usage reste la principale, car on est étonné, après une confrontation attentive, de voir le petit nombre de faits que le nouvel ouvrage ajoute à ce que la Revue avait dit.

C’est cette pénurie de nouveau et le désir de publier un gros livre qui a poussé M. Dalbono à développer sa matière au moyen d’une foule de chapitres parasites qui rappellent la regrettable méthode si souvent pratiquée en Angleterre et en Allemagne. Toutes les fois qu’un nom célèbre se présente, M. Dalbono se croit tenu de raconter l’histoire du personnage, même dans ce qu’elle a de plus étranger au sujet. Comme il parle de la famille Cenci, ne faut-il pas qu’il nous déroule les annales des principales familles en Italie au XVIe siècle ? Ce genre de digression est cependant plus tolérable que le premier, parce qu’il a fallu, pour s’y livrer, puiser ailleurs que dans de vulgaires précis d’histoire. L’auteur sent bien qu’il s’égare ; mais, n’ayant point le courage de rien sacrifier, il se persuade et essaie de persuader à son lecteur qu’il ne s’est point écarté de son objet. Na-t-il pas promis l’histoire de Béatrice Cenci et « de son temps ? » Nous connaissons cet expédient commode des écrivains assez consciencieux pour bien étudier leur matière, mais trop amoureux de leurs recherches pour garder en portefeuille les notes qui leur ont servi à la féconder. Si quelques-uns savent dissimuler ce défaut de méthode par le charme du style, c’est le petit nombre, et M. Dalbono n’est pas encore de ceux-là.

À tout prendre, il n’a point fait une œuvre inutile, puisqu’un an après le récit de Stendhal paraissait à Florence, sur Béatrice Cenci, un nouvel ouvrage dont l’auteur, M. Bencini, ne craignait pas d’affirmer qu’il ne trouvait dans la vie de son héroïne aucune action, aucune pensée qui permît de la croire coupable. Ces affirmations, le doute que quelques hommes d’imagination essaient de faire planer encore sur une vérité trop manifeste, M. Dalbono les réfute avec une clairvoyance à laquelle il faut rendre justice. Béatrice Cenci fut coupable non-seulement d’avoir armé des mains mercenaires, mais encore d’avoir aidé à porter le cadavre de son père sur le sureau qui étendait ses branches au-dessous de la fenêtre, afin de donner le change à la police et de faire croire à une chute pendant un moment

  1. Voyez la Revue du 1er juillet 1837.