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purent se sauver, les autres furent pris et eurent la tête tranchée; ils périrent victimes de la misérable peur qui avait envahi le reste du contingent. De la part de troupes européennes, une si lâche conduite soulèverait à bon droit le mépris; mais n’oublions pas que nous sommes en Chine, où tout le secret de la guerre est d’avancer quand l’ennemi recule, où les engagemens directs n’ont presque jamais lieu, où les villes se prennent soit par trahison, soit à la suite de longs sièges qui, épuisant les munitions et les vivres des assiégés, les forcent de céder la place, où l’assaut est un moyen d’attaque tout à fait inconnu. N’oublions pas non plus que le contingent était de formation récente, qu’une grande partie des hommes étaient nouvellement enrôlés et avaient une instruction militaire fort incomplète. Enfin, s’ils n’eurent pas le courage de monter à la brèche, les Franco-Chinois, à découvert sur la berge, exposés au feu des rebelles, n’en gardèrent pas moins une ferme attitude, et ne rétrogradèrent que lorsque le signal de la retraite fut donné. Ils comptaient quarante hommes tués et deux cents blessés.

L’agonie de M. Tardif dura huit heures, au milieu d’horribles souffrances. Il expira dans les bras de Lévêque du Tche-kiang. Ses soldats le pleurèrent et se préparèrent à le venger. Ils montraient le poing à cette ville maudite de Chao-ching que semblait défendre un destin contraire, et ils disaient qu’ils voulaient s’en emparer coûte que coûte. Cependant ils n’étaient pas assez relevés de leur échec de la veille pour qu’on osât tenter une nouvelle attaque, et les munitions d’artillerie étaient presque entièrement épuisées. Le siège fut donc décidé, et, en retranchant les troupes derrière les nombreuses issues du canal d’enceinte, on put leur faire occuper quatre des six portes de la ville. De l’argent, des armes et des munitions furent expédiés de Ning-po par le collègue de M. Le Brethon, par l’officier blessé qui avait dû rester dans cette ville après le départ de la colonne expéditionnaire. Le commandant de la station navale française envoya, sur la demande de cet officier, M. d’Aiguebelle, lieutenant de vaisseau, pour diriger les opérations. Les réguliers se comportèrent courageusement; ils montrèrent de la résolution, de l’élan même, et dans toutes les rencontres repoussèrent victorieusement les Taï-pings, qui chaque soir tentaient une sortie. Tous les convois furent interceptés. Le manque de munitions commençait à effrayer les assiégés. Leur chef essaya plusieurs fois d’engager des négociations avec M. d’Aiguebelle; il lui fit même offrir 1,200, 000 francs, s’il voulait abandonner les impériaux et se joindre à lui. Des pourparlers s’engagèrent aussi quelquefois entre des rebelles et les rondes qui passaient près des remparts à l’abri d’une gabionnade. On remarqua parmi ces rebelles plusieurs Européens,