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canal entre la ville et les faubourgs. M. Le Brethon ne comptait guère prendre la ville de vive force. « J’essaierai un assaut, écrivait-il, car il se peut que les rebelles, effrayés par leurs précédentes défaites, évacuent la place quand ils verront mon attaque. Dans le cas contraire, je me porterai sur les canaux par lesquels ils reçoivent leurs approvisionnemens, et j’attendrai là qu’ils aient épuisé ceux qui leur restent dans la ville : il y a tout à parier qu’alors ils évacueront. » Dès l’abord, il met ses canons en batterie sur l’angle d’une porte et ouvre son feu. Un des canons s’engage, il s’en approche : c’était une pièce chinoise trouvée sur les murs de Shang-yu; elle éclate. M. Le Brethon est frappé par un morceau de fonte qui lui emporte les deux tiers de la tête. Près de lui gisaient le chef de pièce et une dizaine d’artilleurs chinois tués ou blessés. La mort de M. Le Brethon était un coup funeste pour le contingent. Déjà connu dans la marine pour son intelligence et son énergie, il avait montré surtout de rares capacités dans la rude tâche qui lui était dévolue de former et de mener au feu des troupes chinoises. Il excellait à lutter avec un admirable sang-froid contre les taquineries et les vexations des mandarins, et sa santé robuste lui permettait de résister longtemps aux rigueurs du climat et aux fatigues de la guerre.

Le bataillon ayant perdu son chef, l’expédition était manquée. Il ne restait plus que des instructeurs, anciens caporaux ou soldats, incapables de prendre le commandement et de résister au découragement général. Les rebelles ne tardèrent pas à connaître par leurs espions le malheur arrivé aux Franco-Chinois, et le lendemain matin un millier d’entre eux sortirent de la ville et s’avancèrent vers le campement, situé à 1,000 mètres des remparts, dans l’angle de deux canaux. La langue de terre sur laquelle le campement était placé se reliait par un pont au faubourg d’où venaient les Taï-pings. A ce moment même, les réguliers avaient levé le camp et se dirigeaient du côté opposé. A la vue de l’ennemi, une même pensée courut comme un éclair à travers leurs rangs. Ils continuèrent leur marche jusqu’au moment où tous les rebelles eurent passé le pont. Alors, poussant un grand cri, ils firent volte-face et se précipitèrent sur l’ennemi, en même temps qu’une compagnie se portait par un rapide détour vers le pont, l’occupait et coupait la retraite. Une centaine de rebelles qui avaient vu le danger s’étaient enfuis vers le faubourg. Les autres perdirent la tête et se laissèrent massacrer presque sans se défendre; tous périrent, fusillés, transpercés ou noyés. Les tagals de Manille, qui composaient un peloton d’avant-garde et qui étaient dévoués corps et âme à M. Le Brethon, montrèrent dans la tuerie un acharnement terrible. L’un d’entre eux se jette, le pistolet à la main, sur un chef ennemi à cheval. Les