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tuation géographique, à être un jour des lignes de transit universel, offrent surtout un immense intérêt dont le contre-coup frappe au-delà de nos frontières. C’est pour cette raison-là sans doute qu’ils sont l’objet spécial des exigences publiques et qu’on leur demande des garanties, des améliorations de toute sorte, qu’on n’attend aujourd’hui encore d’aucune autre industrie.

En somme, du simple exposé de toutes les mesures préventives appliquées dans l’exploitation des chemins de fer, il ressort une conclusion évidemment rassurante pour tout esprit non prévenu. Si les chemins de fer sont de leur nature un mode redoutable de transport, les moyens de préservation introduits dans la pratique et sanctionnés par l’expérience tendent à détruire insensiblement tous les élémens d’insécurité qu’ils renferment. Nul ne nie que les catastrophes y deviennent de plus en plus rares, et que le nombre des victimes, comparé à celui des voyageurs, soit à peu près insignifiant. On est heureusement frappé de ces résultats quand on étudie la statistique d’accidens que fournissent la voirie des villes et la marine. La disproportion est énorme. D’après cette statistique, au temps des diligences, et dans une période de quarante ans, la moyenne annuelle fut de 306 victimes, dont 86 tués, sur 846,000 voyageurs. On en concluait dernièrement que les chemins de fer, transportant 20 millions de voyageurs par an, devraient compter 70,000 victimes annuellement pour rester dans la même proportion. En réalité, cette proportion est d’une victime sur 7 millions de voyageurs. Un autre calcul, récemment fait en Angleterre, échelonne les divers pays suivant le degré d’insécurité qu’y offrent ces voies de communication : nous n’avons pas trop à nous plaindre, puisque le relevé comparatif des sinistres ne classe la France qu’au septième rang.

Est-ce à dire que l’on soit au terme du progrès et à bout d’améliorations? N’y a-t-il qu’à considérer d’un œil tranquille et résigné les funestes rébellions de nos machines? Non; plus tard, il faut l’espérer, les mécaniciens plieront davantage les locomotives à leur volonté. Des hommes actifs et intelligens étudient chaque jour les problèmes de l’exploitation, multiplient les efforts et les expériences. Lorsqu’on mesure le chemin parcouru depuis le temps où le génie de l’homme, encore timide et hésitant, s’essayait au gouvernement du monde matériel, on n’a pas le droit de perdre courage et de reculer devant les crises et les défaillances qui entravent tous les grands travaux d’enfantement et d’innovation.


JULES GAUDRY.