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usines; ils apportent chaque matin la houille et le coton que dévorent les métiers aux huit cents broches fileuses, et remportent en retour les produits fabriqués, qui arrivent sur les marchés du monde trois mois au moins avant ceux qu’on a demandés à l’industrie continentale. On est frappé de cette activité fiévreuse d’expédition quand on visite en Angleterre les gares à marchandises, où les wagons et les ballots ne font littéralement que passer à l’aide d’appareils mécaniques opérant le transbordage. Ajoutons qu’en Angleterre on n’apprécie pas nos puissantes machines aux formes tourmentées : la locomotive d’outre-Manche a ses agencemens et proportions consacrés, que l’Anglais entoure de ce culte qu’il porte à toutes ses traditions. Elle peut rarement tirer plus de 350 tonnes. En raison de cette puissance modérée autant que pour les deux causes locales qu’on vient d’indiquer, il faut à la fois multiplier le nombre des trains et accélérer les expéditions, c’est-à-dire augmenter les complications d’un service où les rouages indispensables sont déjà trop nombreux, et remplacer le danger des grandes masses en mouvement par celui des vitesses.

C’est par la vitesse principalement que les chemins de fer se placent au-dessus des autres systèmes de transport. En revanche aussi, cette propriété précieuse et fondamentale engendre les embarras les plus graves de l’exploitation et les chances les plus redoutables d’accidens. Ce n’est pas que la vitesse soit par elle-même un danger : un train lancé à toute vapeur franchit ou pulvérise des obstacles contre lesquels une marche moins rapide l’exposerait à se briser; mais l’impétuosité de la course a pour effet de rendre ingouvernables, si vous ne préparez votre action de loin, ces grandes masses une fois emportées. La vitesse sur les chemins de fer est, en bonne marche courante, de 8 mètres par seconde pour les trains de marchandises les plus lents : c’est presque la vitesse maximum des meilleurs steamers. Les trains express parcourent jusqu’à 25 mètres par seconde; le cheval au galop, le cerf, le tigre, ne possèdent pas à beaucoup près cette vitesse, que les convois gardent d’ailleurs indéfiniment, tandis que l’animal est bientôt épuisé par sa course. Et nous ne parlons que de la vitesse obtenue jusqu’à présent sur les lignes à voie étroite; le Great-Western en Angleterre, les larges lignes de l’Espagne et de la Russie comportent une plus grande célérité; sur les petits railways mêmes, la science n’a pas dit son dernier mot. Cette conquête de l’homme sur l’espace est certainement digne d’admiration; mais que de luttes et de dangers représentent de pareilles victoires sur la nature!

Pour en juger, calculons l’effet mécanique d’un train en marche et la puissance développée par le remorqueur. Pourquoi craindrait-on d’aborder ces détails techniques? Nous vivons dans un contact