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thousiasme et de ses railleries, racontant aussi, l’occasion venue, une médisance d’atelier, une cause célèbre, jugeant une œuvre littéraire, discutant une élection d’académie, et même au besoin empiétant sur le terrain de la politique. La réaction, sourde encore et voilée, qui ramenait à des conditions monarchiques l’élan républicain de 1830, il la démêlait fort bien et tentait de la démasquer. La charte de 1830 n’avait pas grand prestige à ses yeux, et sans prévoir qu’un jour viendrait où ce qu’on appelait la parcimonie du roi citoyen lui apparaîtrait, par l’effet du contraste, comme une des vertus de la couronne, il la censurait avec une aigreur moqueuse, presque à l’unisson du Charivari naissant. Son bonheur du reste, le bien-être dont il jouit, cette supériorité en fait d’art dont il essaie de profiter et qu’il nous reconnaît franchement, ne le disposent pas à voir avec indulgence nos ridicules et nos travers : sévérités outrées, partis-pris excessifs, dont les écrits postérieurs (les derniers principalement) attestent qu’il s’était plus d’une fois repenti. A demi-voix, dans quelque phrase incidente, il en fait volontiers amende honorable, et s’en prend à son inexpérience. — Cet âge est sans pitié, dirait-il volontiers avec notre excellent fabuliste.

La supériorité de la peinture française, il l’explique par le milieu dans lequel l’artiste est placé dès ses débuts. — « Le peintre français, dit-il, est mieux compris, mieux apprécié, mieux payé même, tout compte fait, qu’il ne l’est chez nous. Un jeune homme trouve ici une douzaine d’excellentes écoles où il peut pratiquer sous le contrôle d’un maître éminent et faire son apprentissage moyennant 10 liv. sterl. (250 fr.) de rétribution annuelle. En Angleterre, il devra se contenter de l’Académie ou dépenser des sommes considérables pour obtenir l’enseignement d’un artiste bien placé. En sus des leçons, des conseils, des modèles, dont l’élève peintre jouit ici en échange de ses dix livres, il a pour rien mille stimulans professionnels que l’Angleterre ne saurait lui fournir. Les rues sont garnies de tableaux étalés dans les magasins, les passans eux-mêmes ont leur valeur pittoresque. Églises, salles de spectacle, salles de concerts, salles de café sont décorées de peintures. La nature aussi le traite mieux sous ce ciel plus lumineux et plus clément. Autres incitations plus personnelles, mais tout aussi puissantes, un artiste en France est rétribué largement, car, dans un pays où presque tout le monde est pauvre, un revenu de 500 liv. sterl. (12,500 fr.) n’est certainement pas à dédaigner; son rang dans la hiérarchie sociale est au-dessus plutôt qu’au-dessous du rôle qu’il est appelé à remplir. Bien des maîtres et des maîtresses de maison l’accueillent et le flattent, qui tiennent les titres en fort petite estime, et chez lesquels un baron n’est guère mieux reçu qu’un commis d’agent de change. »