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vrières. Nul doute qu’on ne parvienne un jour de cette manière à faciliter plus ou moins la tâche de l’ouvrier dans certaines industries déjà pratiquées à domicile. S’imaginer toutefois qu’on arracherait ainsi au régime de l’atelier les fabrications installées aujourd’hui dans de vastes établissemens, où tout est organisé pour une production constante sur la plus large échelle, ce serait là une pure illusion.

Ce sont des efforts d’une autre nature dont les districts industriels de Saint-Claude et de Morez peuvent utilement suggérer l’idée. A considérer les besoins les plus manifestes de notre temps, les intérêts les plus réels de notre société, on reconnaît bientôt que les investigations vraiment pratiques ne sauraient avoir pour objet d’opposer le régime du travail à domicile au système du travail en atelier; elles doivent s’attacher à mettre en lumière les avantages du premier système susceptibles d’être étendus au second, et dont l’absence provient uniquement de circonstances accidentelles ou arbitraires. L’examen des groupes jurassiens nous montre tout à la fois à quelles conditions le travail à domicile procure un bien véritable et vers quelles réformes il convient de diriger le travail dans les manufactures.

À ce point de vue, s’il est une lacune à signaler au milieu des sérieux essais tentés de nos jours dans l’intérêt des masses, cette lacune a tenu à la domination trop exclusive des influences matérielles. Il y a, grâce à Dieu, parmi les populations ouvrières des aspirations tenant à l’ordre moral et intellectuel que le souffle du temps a répandues de toutes parts et imprimées en traits ineffaçables au fond des consciences. Malheureusement, durant les sept ou huit dernières années, ce ne sont ni les mesures nouvelles, ni l’exécution des lois existantes pouvant satisfaire à ces besoins d’une façon plus ou moins immédiate qui ont été le plus en relief et qui ont gagné le plus de terrain. Tant s’en faut; l’instinct matérialiste semblait avoir tout envahi. Enfin les circonstances politiques ont ramené les regards sur des questions trop délaissées. C’est là un favorable symptôme. Les tendances qui se sont manifestées avec le plus d’élan à propos des questions récemment soulevées par le régime du travail touchent de tous les côtés à des intérêts de l’ordre intellectuel ou moral. N’a-t-on pas paru vivement préoccupé par exemple du rôle de l’instruction populaire? Les ouvriers n’ont-ils pas laissé voir plus que jamais ce désir qui leur tient si fort au cœur de s’appartenir, de ne relever que d’eux-mêmes dans les institutions qui les concernent, désir qui ne peut espérer de satisfaction solide que du progrès moral? Ces deux sentimens trop longtemps méconnus sont précisément des plus enracinés parmi les populations ouvrières du Jura.


A. AUDIGANNE.