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facile et accueillante, quoique plus avenante qu’expansive. Les goûts populaires n’inclinent pas du reste vers les manifestations extérieures, surtout vers les manifestations bruyantes. On est calme par nature. Dans les divertissemens, dans les promenades du dimanche, point de cris, point ou peu de chants. Parcourez ces districts au moment de quelque joyeuse solennité, par exemple à la Saint-Jean, qu’on célèbre avec une ferveur particulière, vous verrez bien la veille au soir, dès que l’ombre s’est épaissie, les sommets des monts s’illuminer de feux, et le lendemain le travail faire place à la distraction et au plaisir; mais vous n’entendrez ni tapage ni tumulte. Le frein qu’on s’impose, on ne le sent même pas; il est dans l’habitude, cette forme visible de la conscience.

Les écoles sont fort appréciées par les familles. Tous les enfans apprennent à lire et à écrire. Sous ce rapport, il faut l’avouer, on est plus avancé là-bas, au fond de ces ravins écartés, sur ces crêtes si longtemps ensevelies sous la neige, que dans telle ou telle commune industrielle touchant presque les murs de notre splendide capitale. La preuve même que ces horlogers et ces tourneurs, qu’on supposait étrangers à tout ce qui se passe en dehors de leur aire silencieuse, lisent quand ils ne vont plus à l’école, c’est que si l’on s’entretient avec eux, on les trouve au courant de tous les faits contemporains un peu notables, sur lesquels ils s’expriment avec autant de bon sens que d’indépendance. Point de pic assez haut, point de vallon assez retiré pour rester inaccessible au souffle de ces idées libérales, de ces convictions instinctivement généreuses qui forment le trait le plus frappant de notre sociabilité, le lien le plus indestructible de l’unité française. Cela n’empêche pas les intelligences d’offrir çà et là des nuances particulières : c’est ainsi que la tribu vigoureuse occupant le plateau du Grand-Vaux est renommée pour la tournure un peu caustique, un peu railleuse de son esprit. On est prompt chez elle à saisir un travers ou un ridicule, et à le relever par une répartie piquante.

Ce qui domine ici en définitive, c’est l’amour du travail, qui ne s’est jamais démenti au milieu des populations, pas même dans les momens où la besogne ordinaire faisait défaut. On en vit un témoignage éclatant en 1848 : Saint-Claude eut alors ses ateliers nationaux, qui furent employés à la rectification d’une route départementale. Qu’arriva-t-il? Ces terrassiers, ces manœuvres improvisés, portant leurs habitudes traditionnelles dans leur nouvelle occupation, se mirent à l’œuvre sérieusement, si sérieusement même qu’on trouva juste d’accroître en leur faveur la rétribution réglementaire fixée pour les ateliers de ce genre, et qu’en fin de compte l’ouvrage fut exécuté à des conditions plus avantageuses que celles des devis antérieurement préparés.