Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 51.djvu/902

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dire; ce n’est pas du moins une conséquence obligée de la vocation industrielle. Considérez nos villes manufacturières du nord de la France : la femme y a son rôle dans la société comme dans la famille.

A côté de ce trait particulier à la classe aisée de la population, il s’en produit un autre d’une signification différente, qui se rapporte plus spécialement aux ouvriers. On voit prédominer partout dans ces montagnes, du côté de Saint-Claude comme du côté de Morez, le goût pour le travail en famille. L’ordre établi, tel que nous l’avons dépeint, a ses racines au plus profond des cœurs. Dans d’autres contrées, nous voyons l’ouvrier courir de lui-même à la fabrique et s’en faire comme un domicile; il ne songe pas plus à y regretter sa demeure qu’à se plaindre des règlemens que rend nécessaires toute agglomération d’individus. Ici, au contraire, l’homme ne se plie qu’à contre-cœur aux nécessités du travail en commun. Il a le goût du chez soi, de cette maison où il est son maître, où il va et vient à son gré. Il aime à pouvoir, quand cela lui plaît, quitter un moment son tour ou son établi, et venir sur le seuil de sa porte promener ses regards sur les mobiles et capricieuses perspectives des montagnes. C’est pour lui un bonheur qu’il ne saurait définir, mais c’est un bonheur que de vivre en fréquente communication avec la nature. J’ai pu constater en mainte circonstance comment on en contractait l’habitude dès le plus jeune âge. Je me souviens, par exemple, d’avoir vu dans une chaumière des environs de Saint-Claude, spécialement livrée à la fabrication des chapelets, trois enfans de huit à treize ans qui travaillaient sous la direction d’une sœur aînée; tous, la maîtresse aussi bien que ses élèves, avaient entrelacé dans leurs cheveux, et non sans grâce, des tiges de fraisier sauvage, fraîchement cueillies, dont les fleurs et les fruits pendaient au milieu des feuilles. C’est qu’à l’heure du dîner la nichée avait pris son vol au dehors et s’était un instant abattue sur le coteau voisin.

Dès que l’ouvrier répugnait au régime de l’atelier, il a fallu l’y attirer, surtout à l’origine, par l’appât d’un gain plus fort. De cette façon le développement des ateliers mécaniques, nécessité par le progrès de l’industrie, a contribué dans ce pays à faire grossir le chiffre du salaire. C’est du reste, disons-le en passant, la conséquence ordinaire, quoique parfois inaperçue d’abord, de l’emploi des machines. Ce qui est plus rare, c’est de voir le système du travail à domicile se prêter autant qu’ici à la division de la besogne. Si vous parcourez par exemple les campagnes dans les contrées où règne le tissage à domicile, vous ne trouverez partout qu’une tâche uniforme. Autre trait à signaler : comme la terre est généralement peu propice à la culture, le labeur industriel ne s’interrompt guère dans le Jura pour les travaux des champs, beaucoup moins à coup