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et de résistant qui, sans avoir pour effet de prolonger la durée moyenne de la vie, sauf peut-être sur les hauteurs du Grand-Vaux, est très favorable au développement des forces physiques[1]. Le patois du pays ne change également que fort peu de canton à canton, de montagne à montagne; nulle part il n’empêche la population de parler correctement le français. Il ne renferme qu’un très petit nombre de locutions étrangères, dérivant de l’italien plutôt que de l’espagnol. Cela vient sans doute de ce qu’au temps où les couronnes d’Espagne et d’Italie reposaient sur la même tête, et où la Franche-Comté dépendait de ce vaste domaine, c’était vers le Milanais qu’on dirigeait les soldats levés dans ce dernier pays. Ils en rapportaient des expressions accueillies ensuite plus favorablement par le peuple jurassien que la langue même des Espagnols, ses maîtres abhorrés.

Ces premiers indices relatifs à la race et à la langue ne feraient pas supposer de prime abord les différences nombreuses que présente dans ces montagnes, sur un fond d’ailleurs uniforme, l’existence journalière des différens groupes. Il faut songer, pour les comprendre, que les villages sont séparés les uns des autres par des monts ou par des ravins, et que les routes vicinales et les sentiers, plus ou moins rudes toute l’année, demeurent à peu près impraticables pendant six ou sept mois consécutifs. Les communes éparses apparaissent comme autant de petites républiques distinctes, reliées dans une même fédération. Nulle part d’ailleurs on ne saurait mieux se faire une idée des dissemblances locales, de la diversité des caractères et des mœurs qu’au sein des deux cités vers lesquelles converge l’activité de toute la région.

Malgré la supériorité hiérarchique résultant pour Saint-Claude de sa qualité de chef-lieu d’arrondissement, on ne saurait nier que Morez jette plus d’éclat et occupe le haut de l’échelle industrielle. Les existences y ont plus d’ampleur; elles cherchent plus volontiers à se faire valoir et à se mettre en relief. Par la nature même des fabrications, il faut à Morez plus de capitaux pour devenir chef d’établissement. De même les affaires y sont envisagées d’un point de vue plus large. On y rencontre parmi les fabricans une coutume excellente, qui est un des signes les plus remarquables de l’esprit industriel : je veux parler de la disposition à se réunir, à se concerter, à s’entendre sur les intérêts communs de la fabrique et de son ressort. A Saint-Claude prévalent au contraire les habitudes de ce qu’on appelle le petit commerce, d’ordinaire routinier et ombra-

  1. Comme dit l’aphorisme de l’école, otium humectat et corpus debile facit: labor, siccat et corpus robustum facit.