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plus éloignée de nous et fort déchue au temps où la civilisation romaine s’établissait dans les Gaules, elle n’ajouta d’abord à notre langue rien de plus que ce que l’Italie lui avait elle-même emprunté. Plus tard, lorsque l’étude des sciences fit des progrès, à l’époque de la renaissance surtout, les savans et les philosophes, qui rencontraient devant eux des choses nouvelles dans l’ordre physique et dans le domaine de la pensée, furent contraints de demander à la langue grecque, si riche et si expressive, des mots simples ou composés qui pussent faire comprendre la nature des objets et des idées qu’ils voulaient décrire ou fixer. De là ce nombre considérable de vocables grecs qui ont passé dans notre langage ; mais ces vocables, arrivés chez nous tout d’une pièce ou formés pour le besoin des sciences, ne se sont point incorporés à notre langue : on peut les comparer à des corps de troupes auxiliaires toujours recrutés à l’étranger. Ils occupent une place à part dans les vocabulaires, où leur structure particulière les fait reconnaître à première vue, et, frappés de stérilité, ils ne produisent point de rejetons, pareils à des plantes exotiques transportées sous un climat trop rude et qui végètent sans donner de fruits. Il en a été de même pour les expressions que la médecine, l’astronomie et la chimie ont prises dans la langue arabe. Ces emprunts, bien qu’ils fussent nécessaires, n’en ont pas moins eu chez nous des résultats fâcheux. Ils ont introduit dans notre langue des mots qui n’éveillent dans l’esprit du plus grand nombre aucune idée connue; pour les entendre, il faut avoir déjà une certaine instruction. Il existe donc parmi nous deux langues, celle des savans et celle de tout le monde ; or, comme tout le monde désormais est obligé de connaître au moins superficiellement quelque chose des découvertes scientifiques de notre époque, il arrive que ces mots grecs si bien choisis sont défigurés comme à plaisir par ceux qui les répètent sans se faire une idée exacte de leur valeur. Quant à ceux qui n’ont reçu aucune instruction, ces mêmes expressions, incompréhensibles pour eux, leur apparaissent comme autant d’énigmes, et, n’osant pas faire un pas vers la connaissance des choses que cachent ces mystérieuses locutions, ils demeurent confinés dans une profonde ignorance. Il y a plus : nous avons rejeté des expressions excellentes, très utiles, qui nous appartenaient en propre, pour les remplacer par d’autres, excellentes aussi, mais que le peuple ne saurait admettre, parce qu’elles lui sont étrangères. Ainsi nous disions jadis chevaucher, du mot cheval, et de ce verbe on avait fait le substantif chevauchée. Une chevauchée était l’action de chevaucher et aussi une troupe de gens s’en allant en guerre. Tout cela était très logique et s’entendait de soi. Eh bien ! d’abord on abandonne ce verbe pour lui substituer