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mères, de celles au-delà desquelles on n’aperçoit plus rien, et qui, sans rien emprunter à d’autres, ont tout tiré de leur propre fonds, l’hébreu, le sanskrit et le chinois? Quoiqu’elles se soient développées dans des conditions entièrement différentes, ces trois langues ont cela de commun qu’elles procèdent logiquement dans la formation des mots. C’est au verbe, — le radical par excellence, — que l’hébreu et le sanskrit ramènent tous les noms exprimant la substance, la manière d’être ou la qualité, qui se rapportent à un même ordre d’idées. Ainsi le verbe, qui implique l’action et le mouvement, devient comme le chef d’une tribu de mots unis entre eux par une étroite parenté. Le chinois, — tout en adoptant un système d’écriture idéographique dans lequel le son ne joue qu’un rôle secondaire, — a suivi une méthode analogue : ses deux cent quatorze clés, qui représentent chacune une idée, constituent la base de la langue, et, jointes au groupe qui donne le son, elles arrivent à produire quarante mille mots, nombre plus que suffisant pour répondre à tous les besoins de la pensée.

L’antiquité, plus rapprochée de l’origine des choses, avait au plus haut degré le génie de la synthèse; elle nommait chaque objet d’après ses attributs, et chaque expression devenait une image. Rien de pareil n’existe dans nos langues, qui sont toutes de seconde et de troisième formation. Nous sommes habitués d’ailleurs à les étudier sous un point de vue purement analytique, en harmonie avec nos propres instincts. Il semble que la plupart des mots ne soient à nos yeux qu’un assemblage de lettres ayant une valeur de convention, parce que nous n’apercevons pas le radical qui leur a donné naissance. Ce radical, nous ne le possédons pas, il nous est étranger, et c’est dans les langues mortes qu’il nous faut aller le chercher. De plus, notre langue étant privée de la faculté de créer des expressions nouvelles, comme tous les patois et les dialectes, — qui sont des branches séparées du tronc, — elle a dû se compléter par des emprunts successifs faits au latin, au grec, aux idiomes germaniques : il en est résulté un manque absolu d’homogénéité, une certaine abondance confuse que nous qualifions de richesse; mais cette richesse de mauvais aloi acquerra une valeur réelle, et toute confusion cessera, si une critique judicieuse nous montre clairement quel est le sens intime et primitif de ces termes venus de l’étranger, naturalisés parmi nous, et comment des mots auxquels nous ne trouvions aucune ressemblance apparente sont unis par les liens d’une origine commune. Assez longtemps les dictionnaires n’ont été que des espèces de registres dans lesquels venaient se ranger par ordre alphabétique les mots de la langue présente; cette langue présente deviendra demain celle du passé, et