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Sans doute il ne manque pas de gens aujourd’hui pour prêcher la régénération de l’art par l’imitation pure et simple de la réalité, ou pour proclamer, à l’exclusion du reste, les droits de la fantaisie. Ne nous effrayons pas néanmoins outre mesure du danger de ces vieilles nouveautés, de ces erreurs caduques qui se croient jeunes, de ces paradoxes usés qui tâchent par momens de rhabiller d’audace leur indigence ou leur vétusté. Que de fois déjà l’expérience et le sens commun n’en ont-ils pas fait justice! Valentin, malgré les succès obtenus, a-t-il empêché l’opinion au XVIIe siècle de donner raison à Poussin? Plus récemment, les jactances de Boucher et des siens ont-elles réussi dans notre école à discréditer sans retour le bon goût et la bonne foi? Les sophismes que nous voyons se produire n’auront, nous l’espérons bien, ni une meilleure ni une plus longue fortune. Ceux même d’entre nous qui en sont aujourd’hui les complices ou les dupes arriveront peut-être à s’en désabuser demain, tandis que les vérités saines où l’on aura cru reconnaître d’abord une sorte de défi au temps présent reprendront un empire d’autant plus sûr qu’elles auront momentanément donné lieu à quelques méprises. Cette autorité durable semble promise aux œuvres de Flandrin. Peut-être, à la courte distance qui nous sépare de l’époque où elles ont paru, n’avons-nous, pour en embrasser l’ensemble, ni la faculté de choisir le point de vue exact, ni le pouvoir de nous désintéresser suffisamment d’autres œuvres et d’autres succès; peut-être, au milieu des distractions qui résultent pour nous du bruit fait autour de certains noms, nous serait-il difficile d’accorder sinon aux travaux, du moins aux mérites d’Hippolyte Flandrin, toute l’attention, toute l’admiration réfléchie dont ils sont dignes. L’avenir, très probablement, leur sera plus favorable encore que le présent, parce qu’il jugera ces travaux en dehors des préoccupations auxquelles nous ne saurions absolument nous soustraire. Que ce ne soit pas une raison toutefois pour marchander la part de justice que le moment comporte, les hommages qu’il nous appartient de rendre à ce noble talent. Si récentes qu’en puissent paraître les reliques, ne sont-elles pas bien consacrées déjà par la grandeur des souvenirs? Puisqu’aux témoignages d’une aussi haute habileté s’ajoutent les exemples d’une vie sans reproche, sachons dès à présent honorer le tout avec la piété qui convient, et reconnaître une fois de plus, en face de ce double enseignement, la justesse comme la moralité du principe qu’affirmaient les anciens, lorsqu’ils se servaient du même mot pour qualifier les plus belles qualités de l’intelligence, le travail fécond et la vertu.


HENRI DELABORDE.